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Société

27.02.2019

Egypte : Doria Shafik, la féministe oubliée, ressuscitée par Sherin Guirguis

Au Caire, se tient actuellement au Centre Culturel Tahrir de l’Université Américaine, une exposition particulière. Comme un cri du coeur afin de raviver la mémoire d’une féministe égyptienne depuis trop longtemps oubliée: Doria Shafik.

Figure emblématique du mouvement de libération des femmes en Egypte dans les années 40, Doria Shafik est une poète et journaliste et politicienne égyptienne. Elle a notamment permis d’inscrire le droit de vote des femmes dans la constitution en 1956, après une grève de la faim qui la rendue célèbre partout dans le monde. Malgré l’importance de sa contribution à l’évolution de la société égyptienne, sa mémoire a pourtant été mise à l’écart par des générations de gouvernements.

Icône de la libération des femmes en Egypte

Née à Tanta, dans le Delta du Nil, Doria Shafik est la plus jeune égyptienne à avoir obtenu le baccalauréat français, à seulement 16 ans. Brillante, la jeune fille obtient une bourse du ministère de la Culture, ce qui lui permet de poursuivre ses études à l’Université de la Sorbonne à Paris. Après un doctorat en philosophie, cette dernière revient pourtant dans son pays natal, habitée par de grandes ambitions réformistes et rêves d’émancipation féminine. Mais elle se voit rapidement freiner ses élans, quand le doyen de la faculté lui refuse un poste d’enseignante, la jugeant trop “moderne”.

Loin de refréner sa fougue libératrice, Doria Shafik continue, contre vents et marées, à s’engager en faveur de l’éducation féminine en Egypte et devient rédactrice en chef d’un magazine littéraire et culturel francophone “la nouvelle femme”. Elle entame également plusieurs grèves de la faim pour réclamer à la fois le respect du droit des femmes, mais aussi dénoncer le régime dictatorial de Nasser, ce qui lui vaut d’être rayée de la presse et de faire interdire ses magazines de la circulation.

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Intitulée “Daughter of the Nile” (fille du Nil ou Bint el Nil en arabe), cette exposition organisée au sein du Centre Culturel Tahrir de l’Université Américaine du Caire, s’inspire du magazine du même nom, fondé par la jeune femme et publié en langue arabe. Sortie en novembre 1945, son but était d’encourager les femmes à prendre position au sein de la société, et devint par la suite un parti politique luttant pour leur assurer une meilleure intégration dans les politiques du pays.

Raviver une mémoire oubliée à travers l’art

C’est une autre artiste égyptienne contemporaine désormais installée en Californie, Sherin Guirguis, qui a eu l’idée d’une exposition pour rendre hommage à l’oeuvre et au combat de Doria Shafik. En des temps troublés en Egypte, il lui semblait indispensable de raviver cette mémoire enfouie. “J’ai découvert le travail de Doria Shafik quand je faisais des recherches sur le féminisme au Moyen-Orient. Et j’ai remarqué qu’il n’y avait presque pas d’informations à son sujet, j’ai plus tard découvert que son travail avait été volontairement supprimé de l’histoire. Je pense que le combat qu’elle a mené à travers sa vie a eu un impact considérable sur le pays et il est important de nous souvenir de cette histoire aujourd’hui. Je me sens aussi concernée par son sentiment de distance avec sa terre natale et intégré un poème où elle en parle dans mon travail.”

Née à Louxor et ayant grandi au Caire, l’artiste qui a émigré aux Etats-Unis en 1989, entretient une relation épineuse et amoureuse avec son pays d’origine, ce qui revient au cœur de sa pratique où elle ne cesse d’examiner l’ambivalence de sa double nationalité. “Etre bi-culturelle signifie aussi que tu n’es nulle-part vraiment à la maison. Cette recherche fait partie de ma pratique artistique.”. Telle une ethnologue, elle aime explorer les identités culturelles et exhumer les patrimoines oubliés à l’instar de One I call, sculpture réalisée pour la biennale Desert X de Palm Springs en Californie, qui reprend la forme des tours de pigeon traditionnellement retrouvées dans les déserts et villages d’Egypte, et où elle interroge la notion de migration et d’espace dans les communautés désertiques. Ou encore Cairo Trilogy, un ensemble de trois sculptures reproduisant les motifs répétitifs des moucharabiehs, et inspirées de l’oeuvre du prix Nobel de littérature Naguib Mahfouz qui dépeint l’évolution de la société égyptienne après la reconstruction post-coloniale.

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Travailler sur ses actions et non sur son apparence

Continuation de son exposition solo “Of Thorns and Love”, présentée au musée d’art et de folklore de Los Angeles, la peintre expose avec “Fille du Nil” une série de tableaux dressant un portrait abstrait de l’icône féministe égyptienne, qu’elle ne présente jamais de manière figurative mais à travers des aplats de couleurs vives ou des motifs floraux. Une manière de se focaliser sur les accomplissements de la poète et non sur son apparence, nous confie t-elle. “J’ai senti que l’apparence élégante de Doria et ses robes à la mode étaient souvent utilisées comme des outils pour ne pas prendre son travail au sérieux. De cette manière, mon travail se concentre sur ses actions et non sur son apparence. ”

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L’exposition propose aussi des publications rares de la bibliothèque de l’Université Américaine du Caire comme ces images inédites de la marche des femmes que Shafik a organisé pour obtenir le droit de vote. De cette manière, elle redonne la place méritée de Doria SHafik dans l’histoire de l’Egypte.

Publié le 27 February 2019

#Egypte