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Tech & Business

19.10.2020

Energie : quelle place pour l’hydrogène au Moyen-Orient ?

Qu’ils en soient exportateurs ou importateurs, les pays du Moyen-Orient restent, encore aujourd’hui, très dépendants du pétrole. Animés par les meilleures intentions du monde à ce niveau, ils ont tous ou presque intégré à leurs stratégies étatiques des mesures qui devraient leur permettre, à terme, de surmonter, ou, à défaut, de réduire cette dépendance, notamment grâce à l’essor des énergies dites “renouvelables”. Quid de la place de l’hydrogène dans cette équation ?

L’hydrogène peut-il devenir le nouveau pétrole ? Si elle n’a pas encore la réponse à cette question, l’Arabie saoudite semble toutefois optimiste sur le sujet. Si l’on en juge en tout cas par la cargaison “d’ammoniaque bleu”(un produit chimique qui peut être utilisé pour produire de l’énergie propre pour la consommation industrielle et domestique, et dont l’ingrédient principal est l’hydrogène), expédiée depuis le port d’Al-Jubail cet été à destination du Japon, les deux pays croient fermement au potentiel du matériau.

 

 

A peu près au même moment, de l’autre côté du Royaume, l’Arabie saoudite brandissait une autre preuve de sa foi en l’hydrogène comme réformateur du mix énergétique avec un plan de 5 milliards de dollars axé sur NEOM, cette mégapole ultra-moderne prévue dans le cadre de la stratégie Vision 2030 chère à Mohammed Ben Salmane, afin de développer l’hydrogène “vert” (il en existe plusieurs couleurs, nous y viendrons) comme principale source d’énergie. Projet d’immense envergure développé en collaboration avec des entreprises énergétiques saoudiennes et internationales, NEOM vise également à exporter de l’hydrogène vert. Indéniablement, côté saoudien, on mise gros sur son utilisation pour réussir à se soustraire à la dictature de l’or noir.

 

L’hydrogène, ce “gendre idéal” énergétique

En fait, on l’utilise depuis longtemps comme carburant. Dans l’aérospatiale par exemple, l’hydrogène dans sa forme liquide dispose d’une place d’honneur dans le coeur des ingénieurs. Dans le transport de marchandises, il n’en est certes qu’à ses balbutiements, mais commence de plus en plus à s’incruster dans le fameux “mix énergétique”. Et les états, d’ailleurs, d’encourager la filière à grands renforts d’accompagnements et de subventions.

 

L’hydrogène est depuis longtemps utilisé comme carburant dans de nombreux secteurs.

On comprend pourquoi : sur le papier, il présente des possibilités inégalées ! Un immense potentiel énergétique pour des émissions dérisoires, voire nulles, voilà de quoi faire saliver plus d’un ministre des transports, et donner envie à Greta Thunberg de retourner sur les bancs de l’école, se rendre en cours de physique et se renseigner sur ce fameux H₂.

Trop beau pour être vrai ?

Seulement voilà : l’hydrogène n’existe pas dans la nature en tant que produit chimique autonome, il doit donc être extrait de divers composés, en utilisant des procédés souvent énergivores. En fait, l’hydrogène n’est pas une énergie propre en soi. Il n’est même pas, à proprement parler, une source d’énergie. Il s’agit plutôt une façon de stocker une énergie produite au préalable, et que l’on peut utiliser plus tard. Dès lors, son bilan carbone dépend essentiellement de la façon dont il est produit.

 

Une pile à hydrogène étudiée en laboratoire

On en distingue, à ce sujet, plusieurs types, classés par couleur : le gris, le bleu et le vert.

Aujourd’hui, 95% de la production mondiale est générée à partir de vaporeformage de combustibles fossiles : on parle alors d’hydrogène « gris », dont les émission mondiales de CO2 sont extrêmement conséquentes ! Pas si idéal, donc…

Le but devient alors de favoriser l’hydrogène « vert ». C’est-à-dire celui que l’on produit à partir d’énergies renouvelables (l’éolien et le photovoltaïque principalement). Ici, le hic est sans équivoque : le coût de production s’avère entre 1,5 et 5 fois plus élevé que l’hydrogène produit à partir du gaz. Or, en matière d’énergie, il s’agit d’être pragmatique : le rendement comme seul mot d’ordre. Pour autant, c’est la typologie d’hydrogène la plus prometteuse, et dans laquelle les investissement doivent être soutenus.

Un rapport de l’IRENA (Agence internationale pour les énergies renouvelables) fait également état de l’hydrogène dit « bleu ». Celui-ci est produit par des combustibles fossiles mais en y associant un dispositif de capture et de stockage du CO2. Une méthodologie intéressante, qui se heurte néanmoins à des freins technologiques et d’approvisionnement.

 

La recherche de pointe permet l’émergence d’une technologie toujours plus performante.

Aux Emirats, les acteurs en phase de réflexion

Observer le secteur privé est généralement un excellent moyen de mesurer l’engagement d’un pays dans une filière. Or, si l’on considère que des géants comme Air Liquide collaborent avec Al Futtaim Toyota et la prestigieuse Khalifa University, basée à Abu Dhabi et spécialisée dans les sciences, collaborent sur le sujet, l’on est en droit de penser que les émirats arabes unis prennent le sujet au sérieux. En janvier 2019, ces trois acteurs ont publié une étude commune sur le “développement à moyen et long terme de la mobilité de l’hydrogène dans les Émirats arabes unis”. Il en ressort que la mobilité de l’hydrogène aux Émirats arabes unis a un potentiel substantiel de devenir une économie majeure pour le pays, et peut contribuer à la réalisation de ses objectifs en matière d’énergie propre, conformément à la Vision 2021 des Émirats arabes unis. La transition commencerait ainsi par les secteurs du transport public (bus, trains, etc.) et privé (flottes de véhicules) afin de générer une demande assez forte pour rationaliser la production. Pour rappel, Air Liquide et Al-Futtaim Toyota ont inauguré la première station d’hydrogène du Moyen-Orient à Dubaï, en octobre 2017.

Une situation géographique idéale

Comme mentionné plus haut, tous les pays du Moyen-Orient ne sont pas de gros producteurs ou exportateurs de pétrole. Si l’on prend le cas de la Jordanie, par exemple, elle repose à 96 % sur les importations du précieux hydrocarbure pour assurer son fonctionnement. Dès lors, il tombe sous le sens de réfléchir à des alternatives et l’hydrogène se pose presque comme une évidence pour deux raisons : un taux d’ensoleillement très important, et un accès à l’eau facilité. Selon un article du journal international de l’hydrogène, publié sur Science Direct, qui s’est intéressé à la question, la ville de Ma’an serait idéalement située pour abriter une usine car elle serait alimentée en eau par le Golfe d’Aqaba et le canal Mer Rouge-Mer Morte. Et, puisque le produit est énergivore, il conviendrait d’accompagner l’usine d’une unité de production d’énergie solaire avec panneaux photovoltaïques accompagnés d’un électrolyseur pour produire de l’hydrogène vert en abondance. Rome, en revanche, ne s’est pas faite en un jour. L’étude précise que pour une mise en service des infrastructures en 2020, il faudrait attendre 2060 avant que l’hydrogène ne représente une partie conséquente de la demande en énergie.

 

Une installation photovoltaïque dans le désert.

Un enjeu économique

Le constat n’est pas unique. On retrouve ainsi une situation similaire en Egypte, où le lac Nasser, le plus grand lac artificiel du monde, met à la disposition de l’Homme quelque 120 millions de mètres cubes d’eau douce, renouvelable, avec un taux d’ensoleillement annuel de 2500 kWh/m². Des conditions tout simplement parfaites pour le développement de la filière et de ses infrastructures. En outre, la distance entre le lac Nasser à Alexandrie est d’environ 900 km, et traverse le désert occidental de l’Égypte. Il s’agit d’un désert plat et vide, sans barrières géographiques ou géologiques. L’hydrogène pourrait être facilement acheminé, puis envoyé à travers la mer Méditerranée par des pipelines directs vers de nombreux endroits en Europe. De quoi constituer un avantage stratégique considérable pour un pays encore très dépendant du tourisme.

 

Le canal de la Mer Morte permet un approvisionnement considérable en eau.

Coopération internationale

Une vérité qui s’applique également au Maghreb. La Commission Européenne a présenté le 8 juillet dernier un plan de développement de l’hydrogène vert pour les pays de l’Union qui pourrait s’appuyer très largement sur une production nord-africaine. Afin de décarboner des secteurs à fort enjeu stratégique et environnemental comme le transport ou la sidérurgie, le Vieux Continent compte beaucoup sur l’hydrogène. Le Maroc par exemple, partenaire historique de l’Union, se trouve dès lors en position intéressante, favorisé par ses capacités solaires et éoliennes considérables. À ce titre, le Maroc a signé un certain nombre d’accords de coopération avec l’Allemagne, prévoyant, entre autres, la construction dans le Royaume d’une unité de production d’hydrogène vert, qui serait la première sur le continent. “La création d’une commission nationale sur l’hydrogène, d’un certain nombre d’agences comme MASEN (Agence marocaine pour l’énergie durable) et l’IRESEN (Institut de Recherche en Énergie Solaire et Énergies Nouvelles) ou encore le travail du CESE (Conseil économique, social et environnemental) sur la potentialité de l’Énergie verte au Maroc traduisent la volonté du Royaume de devenir un leader mondial de l’Énergie verte” lit-on également dans le magazine économique Challenge.

Si on peut donc en effet déjà considérer que la machine est lancée, la filière de l’hydrogène peine à trouver son rythme de croisière et reste un concurrent timide au pétrole. Animé par sa volonté de s’affranchir de ce dernier, le monde arabe lui prête une oreille attentive mais peut-être encore trop hésitante, alors qu’il présente toutes les composantes qui permettront de rivaliser avec des puissances comme le Japon, les Etats-Unis, ou les pays Scandinaves, où l’investissement dans l’hydrogène en est d’ores et déjà à des stades avancés.

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Publié le 19 October 2020

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