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Lifestyle

09.12.2019

Ifriqiyya electrique, explorations mystiques et sonores au coeur du Maghreb

Le 30 novembre dernier, l’Institut des Cultures d’Islam recevait le groupe Ifriqiyya électrique. Une exploration sonore au coeur des rituels mystiques d’Afrique du nord pour une immersion ethno-musicale jubilatoire.

L’histoire d’Ifriqiyya électrique est intimement liée à celle de la découverte enchantée de territoires inconnus. A la croisée de la musique et de l’ethnographie, son univers marie les rythmes des rituels mystiques et tribals d’anciens esclaves d’Afrique du Nord aux sonorités post-industrielles.

Porté par François Cambuzat et Gianna Greco, deux musiciens qui se sont rencontrés il y a bien longtemps sur des routes lointaines, Ifriqiyya électrique a fait du chemin depuis sa création en 2016. D’abord une première étape en Tunisie, dans la région semi-désertique du Djerid, au sud-ouest du pays. Là où les descendants d’esclaves noirs d’Afrique du nord pratiquent encore des rituels de possession dans une sorte de “transe” musicale et physique qu’on appelle la Banga de Tozeur. De ce voyage est né un premier album en 2017, “Rûwahîn” (les esprits), qui s’est placé en 4ème place dans la catégorie musique du monde aux Etats-Unis.

Aujourd’hui, ils entament le deuxième volet de ce périple et et nous transportent cette fois au sein du Dîwan algérien et du gnawa marocain avec leur dernier album “Leylet el Boree”. Une expérience spirituelle universelle pour s’élever et s’oublier.

 

Pouvez-vous nous rappeler la genèse du projet Ifriqiyya? Et finalement nous dire ce qui vous a amené à vouloir explorer la musique mystique banga du désert tunisien?

Cela remonte à il y a très longtemps. Au départ nous avions un projet de prise de son en Mongolie, pendant lequel un ami Kazakh nous a parlé du Xinjiang, cette zone musulmane de la Chine où les ouïghours sont actuellement persécutés. Notre ami nous a indiqué qu’il y avait là-bas la présence de rituels chamaniques, alors nous nous sommes renseigné avec l’aide d’un chercheur du CNRS, spécialiste du syncrétisme entre Islam et chamanisme et nous avons réalisé un premier film sur ce sujet. Le film a beaucoup marché dans le milieu de l’ethnomusicologie, à tel point qu’on nous a appelé les Jean Rouch (NDLR ethnologue français) du Rock & Roll. Puis l’institut français de Tunis nous a contacté en nous demandant si nous serions intéressé pour faire la même chose dans la région. Je connaissais déjà la musique du Stembali Tunisien mais je trouvais qu’elle avait perdu son âme en étant devenue un peu trop touristique et folklorique. Mais une amie ethno-musicologue nous a parlé de la banga du Djerid dans le désert de sel et on a donc décidé de s’y installer plusieurs mois pour la découvrir.

 

En quoi consistent vos explorations ethnologiques et musicales?

Cela consiste à nous immerger plusieurs mois dans des régions qui nous sont inconnues, à faire du “field recordings” et à apprendre de nouveaux répertoires musicaux comme la banga, le stambali, le dîwan ou le gnawa dans le cadre de Ifriqiyya électrique. Mais Ifriqiyya électrique est le nom d’un film de Trans-Aeolian Transmission qui n’est pas un projet musical à la base, mais vidéo dont le but est de garder une trace de l’héritage musical de tribus éloignées afin que leur essence ne soit pas perdue à cause du tourisme ou de l’argent. Nous l’avions fait au départ au Xinjiang, puis ensuite en Tunisie avec Ifriqiyya électrique Dès qu’on a mis des extraits du film sur Internet, plusieurs festivals comme Les vieilles charrues nous ont contacté pour que nous nous produisions sur scène.

 

Comment avez vous accueilli ce succès?

Au départ, nous ne voulions pas jouer cette musique sur scène, puis on s’est dit que la musique ne nous appartenait pas mais à la communauté, alors on a demandé au vieux sage de la communauté. On lui dit que cela allait rapporter de l’argent, en mettant la lumière sur la musique, mais que cela risquait en même temps de lui faire perdre son essence spirituelle. On lui a laissé le temps de la réflexion et il est revenus vers nous en nous disant que cela ferait plaisir à la communauté. On est alors passé d’un film à groupe de musique. Tous les gros festivals tunisiens nous ont contacté et on a fait une tournée dans tout le pays, puis au Danemark avec des musiciens choisis par le sage de la communauté lui même. Ce fut un vrai choc culturel pour les musiciens de passer de 40 degrés à Tozen à 22 au milieu du Danemark.

En quoi cette tournée du premier album a t-elle été bénéfique pour la communauté? Et comment le projet a t’il évolué aujourd’hui?

Il y a un énorme racisme en Tunisie vis-à-vis des populations noires. Cette tournée a permis de valoriser cette communauté et aux musiciens d’être bien rémunérés. Pendant trois ans, nous avons fait une tournée avec des musiciens qui changeaient régulièrement pour des raisons personnelles (mariages, maladie), mais lors de la dernière énorme tournée promotionnelle du nouvel album, les musiciens ne le sentaient plus et nous avions aussi envie de faire autre chose. Le groupe a évolué humainement et géographiquement avec Boualem d’Alger et Simoh du Maroc, ce qui nous a permis d’ étendre notre recherche sur les musiques d’élévations au Maghreb tout entier en nous intéressant aussi au diwan algérien et gnawa marocain.

Qu’avez-vous appris de cette expérience?

À la base, nous sommes athés et ultra cartésiens avec beaucoup d’à priori sur les religions mais énormément de sympathie pour la foi. Ce qui nous a beaucoup plu dans ces rituels, c’est le lien qu’ils instaurent avec la communauté. Si ceux qui les pratiquent savent bien qu’on ne soigne pas une appendicite avec une banga, ils pensent pouvoir soigner la tristesse et la pesanteur de la vie. Pour les femmes, c ‘est aussi un moment où elles ont un espace pour être ce qu’elles veulent. Le soir, le vieux sage appelle les affiliés à la banga (environ 400 personnes) pour savoir qui est disponible et ils se déplacent gratuitement, parfois à des centaines de kilomètres, pour amener ces cérémonies de possession chez les gens. Et c’est totalement gratuit, ils ne demandent rien à part le remboursement des frais de déplacement. Ce qui nous frappe aussi, c’est de voir qu’il y a des ados qui apprennent la banga et qu’il existe donc une réelle transmission au sein de cette communauté.

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