Génération TikTok : Ces jeunes musulmans qui redécouvrent leur foi sur YouTube

« C’est sur TikTok que j’ai vraiment compris ma religion. Mes parents sont musulmans, mais ils ne m’ont jamais vraiment expliqué les fondements. Sur YouTube, j’ai trouvé des réponses claires à mes questions. » Assia, 16 ans, collégienne à Argenteuil, navigue chaque jour entre cours de mathématiques et vidéos de prédicateurs musulmans qui cartonnent sur les plateformes sociales. Comme elle, une génération entière de jeunes musulmans redécouvre sa foi non plus dans les mosquées, mais à travers les algorithmes des plateformes numériques.

Une quête spirituelle à l’ère du numérique

La transmission religieuse connaît une révolution silencieuse. Là où les parents transmettaient autrefois les pratiques religieuses par l’exemple et la parole, YouTube est devenu le nouveau minbar (chaire) d’une génération en quête de repères. « Les vidéos offrent un accès immédiat et personnalisé à la connaissance religieuse », explique Soraya, 18 ans, qui s’est mise à porter le hijab après avoir suivi plusieurs chaînes YouTube consacrées à la foi musulmane.

Cette évolution s’inscrit dans un contexte plus large où la transformation des pratiques spirituelles à l’ère du numérique et des réseaux sociaux bouleverse les modes traditionnels d’apprentissage religieux. Pour ces adolescents, souvent nés de parents qui ont délaissé certaines pratiques ou qui n’ont pas reçu d’éducation religieuse structurée, les plateformes numériques offrent une alternative séduisante.

Entre tradition familiale et révélation numérique

Le phénomène touche des profils très divers. Certains jeunes redécouvrent un héritage familial mis de côté, d’autres s’opposent frontalement aux pratiques de leurs aînés qu’ils jugent « folkloriques » ou « culturelles » plutôt que fidèles aux textes.

« Ma mère célèbre le Mawlid (anniversaire du Prophète) avec des chants et des festivités. Sur YouTube, j’ai appris que certains savants considèrent cette pratique comme une innovation blâmable », confie Yacine, 17 ans. Cette tension entre pratiques héritées et islam « des sources » alimente parfois des conflits intergénérationnels.

À l’inverse, Paloma, une jeune convertie d’origine espagnole, a trouvé sur YouTube des ressources pour construire une identité musulmane compatible avec ses convictions féministes. « J’ai découvert des savantes musulmanes qui proposent des lectures progressistes des textes. Ça m’a permis de concilier ma foi et mes valeurs », explique-t-elle.

« Ce qui est inédit, c’est la pluralité des voix accessibles. Un adolescent peut désormais être exposé à toutes les tendances de l’islam, du plus littéraliste au plus réformiste, sans le filtre des institutions traditionnelles. Cette liberté est à double tranchant », analyse Karim Ifrak, islamologue au CNRS.

Des influenceurs religieux aux profils variés

Sur YouTube, une nouvelle génération de prédicateurs séduit par un style direct et une proximité assumée avec les préoccupations des jeunes. Mehdi, créateur de contenu pour Islammag, aborde sans tabou des questions comme l’argent, le mariage ou les addictions, tout en y intégrant une dimension religieuse.

« Ces nouveaux prédicateurs parlent le langage des jeunes, utilisent leurs codes et répondent à leurs angoisses quotidiennes », observe Sofia Belkadi, sociologue des religions. « Ils comblent un vide laissé par les institutions traditionnelles qui peinent à s’adapter aux questionnements contemporains. »

À côté de ces figures charismatiques, des chaînes éducatives plus structurées proposent des contenus pédagogiques sur l’islam. Certaines s’inspirent de formats populaires, comme « C’est pas sorcier » au Maroc, pour expliquer les fondements religieux de manière accessible et ludique aux plus jeunes.

Entre opportunités et risques

Si YouTube offre un accès démocratisé au savoir religieux, cette révolution numérique soulève aussi des inquiétudes. « L’absence de filtrage peut exposer des adolescents fragiles à des interprétations problématiques », souligne l’imam Mohammed Chirani, engagé dans la prévention de la radicalisation.

Pour Nadia, mère de deux adolescents, la découverte de l’islam sur YouTube par ses enfants a été source d’anxiété : « Mon fils de 15 ans m’a un jour reproché notre façon de pratiquer. Il avait vu des vidéos condamnant certaines de nos traditions familiales. J’ai eu peur qu’il se radicalise. »

Pourtant, cette exploration numérique peut aussi nourrir une foi plus réfléchie. Samir, 19 ans, témoigne : « À force de regarder différentes chaînes, j’ai appris à comparer les points de vue, à vérifier les sources. Aujourd’hui, je suis capable de construire ma propre compréhension de l’islam. » Une démarche qui fait écho à l’évolution contemporaine du pèlerinage face aux enjeux modernes et digitaux, où la spiritualité se réinvente à l’ère numérique.

Vers un accompagnement éclairé

Face à ces transformations, des initiatives émergent pour accompagner les jeunes dans leur exploration religieuse numérique. Des mosquées proposent désormais des ateliers d’éducation aux médias, tandis que des parents s’initient aux plateformes pour pouvoir dialoguer avec leurs enfants.

« L’enjeu n’est pas d’empêcher les jeunes d’accéder à ces contenus, mais de leur donner les outils pour développer un esprit critique », estime Farid Abdelkrim, ancien président des Jeunes Musulmans de France. « Il faut les encourager à diversifier leurs sources, à contextualiser les interprétations et à ne pas confondre opinion et savoir religieux. »

Cette quête spirituelle numérique s’inscrit dans une tradition plus ancienne de recherche personnelle, rappelant comment le hajj incarne l’engagement traditionnel et l’authenticité de la foi. Car au-delà des écrans, c’est bien une soif de sens et d’appartenance qui anime ces adolescents navigant entre tradition familiale, modernité et algorithmes.

Comme le résume Assia : « YouTube m’a ouvert les portes de ma religion, mais c’est à moi de faire le chemin. » Un proverbe arabe ne dit-il pas : « La connaissance est une mer sans rivage » ? À l’ère numérique, les jeunes musulmans semblent bien déterminés à voguer sur cet océan, smartphone à la main.

Karim Al-Mansour

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