Grands-parents musulmans : témoins inquiets d’un islam en mutation rapide

Dans le salon aux canapés usés de Mohamed, 78 ans, les photos de famille témoignent d’un monde qui a changé à une vitesse vertigineuse. « Quand j’étais jeune au Maroc, le temps s’écoulait lentement. Aujourd’hui, mes petits-enfants vivent dans l’instant, toujours pressés, » soupire-t-il en ajustant ses lunettes. Ce grand-père, comme des millions d’autres aînés musulmans à travers le monde, observe avec un mélange de fascination et d’inquiétude les transformations profondes de la société. Entre nostalgie d’un passé idéalisé et acceptation prudente de la modernité, leur regard offre un témoignage précieux sur l’évolution des communautés musulmanes contemporaines. 🕰️

Entre préservation et adaptation : le dilemme des grands-parents musulmans 📖

Les grands-parents musulmans d’aujourd’hui ont souvent connu des transformations sociétales majeures : décolonisation, exil, modernisation accélérée. Cette génération se retrouve à cheval entre deux mondes, tentant de maintenir un équilibre délicat entre la préservation des valeurs traditionnelles et l’adaptation aux réalités contemporaines.

« Je ne comprends pas pourquoi ma petite-fille veut un mariage civil avant la cérémonie religieuse, » confie Aïcha, 72 ans, résidant à Lyon. « Pour nous, le mariage était avant tout une affaire de foi et de communauté. » Cette incompréhension reflète des tensions intergénérationnelles que l’on retrouve dans de nombreuses familles, comme l’explique l’étude sur le mariage musulman et les divisions générationnelles que nous avons menée l’an dernier. 💍

Salim, 80 ans, originaire d’Algérie mais vivant à Bruxelles depuis cinquante ans, témoigne d’une approche plus conciliante : « Quand mes petits-enfants me parlent de leurs questionnements sur la religion, je les écoute. Je préfère qu’ils viennent à moi plutôt qu’ils cherchent des réponses sur internet. Le dialogue est notre seul espoir de transmission. » 🗣️

Des regards pluriels sur le monde contemporain 🧾

La perception du monde moderne varie considérablement selon les parcours personnels, l’éducation et le contexte géographique des aînés. Hassan, ancien professeur de physique en Égypte maintenant à la retraite, voit d’un bon œil certaines évolutions : « La science et la religion ne sont pas contradictoires. Je suis heureux que mes petits-enfants aient accès à une éducation que je n’ai pas eue. »

À l’inverse, Fatima, 75 ans, s’inquiète de la dilution des valeurs familiales : « Aujourd’hui, chacun pense à sa carrière, à ses loisirs. De mon temps, la famille passait avant tout. Ces jeunes qui vivent seuls avant le mariage, c’est incompréhensible pour moi. » Ce sentiment d’érosion des valeurs traditionnelles est particulièrement présent chez les grands-parents dont les familles sont confrontées à des différences religieuses, comme l’illustre notre dossier sur les stratégies adoptées par les familles mixtes musulmanes. 👨‍👩‍👧‍👦

« Les grands-parents musulmans se retrouvent souvent dans une position de gardiens culturels, tout en devant faire preuve d’une flexibilité qu’ils n’avaient pas anticipée. Cette double posture crée parfois des tensions internes profondes, » explique la sociologue Samira Bellil, spécialiste des questions intergénérationnelles dans les communautés musulmanes européennes.

La technologie : menace ou opportunité ? 📱

Face aux écrans omniprésents, les réactions des grands-parents musulmans oscillent entre méfiance et adaptation pragmatique. Nombreux sont ceux qui voient dans les réseaux sociaux une menace pour les valeurs familiales et religieuses.

« Mes petits-enfants passent des heures sur leur téléphone. Ils apprennent des choses que je ne comprends pas, parfois contraires à nos traditions, » déplore Ahmed, 83 ans, résidant à Manchester. « Comment transmettre nos valeurs quand leurs yeux sont constamment rivés sur ces écrans ? »

Pourtant, certains aînés ont choisi d’embrasser ces nouvelles technologies. Karima, 68 ans, utilise WhatsApp pour envoyer quotidiennement des versets du Coran à ses petits-enfants dispersés entre Paris et Casablanca. « Si je veux leur parler, je dois utiliser leurs outils. J’ai appris à faire des appels vidéo pour réciter des prières avec eux pendant le Ramadan. » 🌙

La foi à l’épreuve de la modernité 🤔

Les questions liées à la pratique religieuse cristallisent souvent les inquiétudes des grands-parents. Ils observent avec préoccupation les différentes interprétations de l’islam qui émergent au sein même de leur famille, un phénomène que nous avons analysé dans notre article sur les fratries musulmanes divisées par la foi.

Malik, 76 ans, imam à la retraite, s’inquiète : « Certains jeunes adoptent des versions rigoristes trouvées sur internet, d’autres abandonnent complètement la pratique. Les deux extrêmes me préoccupent. L’islam a toujours été une voie médiane. »

Amina, 70 ans, partage cette préoccupation mais reste optimiste : « Mes petits-enfants posent des questions que je ne me serais jamais permis de poser à mon âge. Ils veulent comprendre le ‘pourquoi’ derrière chaque pratique. C’est déstabilisant, mais au fond, cette curiosité peut renforcer leur foi si nous les guidons avec bienveillance. » 🕌

Ressources et ponts entre les générations 🌱

Face à ces défis, diverses initiatives émergent pour faciliter le dialogue intergénérationnel dans les communautés musulmanes. À Birmingham, le programme « Racines et Ailes » organise des cercles de discussion où grands-parents et petits-enfants partagent leurs perspectives sur des sujets contemporains à la lumière des enseignements islamiques.

Des organisations comme « Mémoire d’Islam » en France documentent les témoignages des premiers immigrés musulmans, créant une archive précieuse qui permet aux jeunes générations de comprendre le parcours de leurs aînés. Yasmina, 18 ans, témoigne : « Écouter mon grand-père raconter son arrivée en France dans les années 60 m’a fait comprendre sa rigueur religieuse que je trouvais excessive. Maintenant, je respecte son parcours, même si je pratique différemment. » 📚

Des imams et des éducateurs musulmans développent également des ressources adaptées pour aider les grands-parents à aborder des sujets délicats avec leurs petits-enfants, de la sexualité aux questions d’identité, en restant fidèles aux principes islamiques tout en tenant compte du contexte contemporain.

Comme le résume un proverbe arabe souvent cité par les aînés interrogés : « La sagesse consiste à planter des arbres dont on sait qu’on ne goûtera jamais les fruits. » Pour beaucoup de grands-parents musulmans, c’est dans cet esprit de sacrifice et d’espérance qu’ils contemplent le monde d’aujourd’hui – non sans inquiétude, mais avec la conviction profonde que les valeurs essentielles survivront aux transformations de surface. 🌳

Karim Al-Mansour

populaires

1
2
3

Lire aussi