Hijab: Le choix bouleversant de milliers de musulmanes de retirer leur voile

Samira ajuste son foulard une dernière fois devant le miroir. Elle hésite. Aujourd’hui pourrait être le jour où elle sortira tête nue pour la première fois depuis ses 16 ans. À 34 ans, cette Franco-Algérienne n’en peut plus des regards appuyés, des opportunités professionnelles manquées, et des justifications permanentes. « C’est comme porter un panneau ‘jugez-moi’ en permanence, » confie-t-elle. Son histoire n’est pas isolée. De Paris à Téhéran, de Riyad à Istanbul, un phénomène prend de l’ampleur : de plus en plus de femmes musulmanes font le choix de retirer leur voile, pour des raisons aussi diverses que leurs parcours personnels.

Une décision aux multiples visages

L’abandon du voile résulte rarement d’une seule cause. Pour Nour, 28 ans, la décision fut d’abord pratique : « J’ai postulé pendant des mois sans réponse. Dès que j’ai envoyé mon CV avec une photo sans hijab, les entretiens sont arrivés. » Cette réalité reflète un rituel caché des Françaises musulmanes, contraintes de naviguer entre identité personnelle et acceptation sociale.

En Iran, le mouvement prend une dimension politique. Depuis la mort de Mahsa Amini en 2022, arrêtée pour « port inapproprié du voile », des milliers de femmes ont retiré leur foulard en signe de protestation. « Ce n’est pas une question religieuse mais de liberté fondamentale, » explique Parisa, militante iranienne. « Quand le voile devient une obligation légale, son retrait devient un acte révolutionnaire. »

Entre ces extrêmes – discrimination occidentale et répression orientale – se dessinent des motivations plus personnelles : quête spirituelle, évolution de la foi, ou simple désir d’autonomie vestimentaire.

Un contexte sociétal en pleine mutation

Les statistiques parlent d’elles-mêmes : dans plusieurs pays musulmans, on observe une baisse du port du voile chez les jeunes générations urbaines et éduquées. Ce phénomène s’explique partiellement par l’accès à l’éducation et l’émergence d’une classe moyenne aspirant à définir individuellement sa religiosité.

L’influence des réseaux sociaux joue également un rôle crucial. Des milliers de vidéos « hijab off journey » (parcours de retrait du voile) cumulent des millions de vues sur TikTok et YouTube. Ces témoignages créent une communauté virtuelle qui normalise ce choix auparavant tabou.

« Le voile est devenu un symbole hyperpolitisé, tantôt suspecté par l’Occident, tantôt imposé par certains régimes. Cette double pression pousse paradoxalement de nombreuses femmes à le retirer pour retrouver une relation personnelle à leur spiritualité, loin des injonctions contradictoires. » — Dr. Fatima Khemilat, politologue spécialiste des questions de genre et d’islam

Cette évolution génère des tensions intergénérationnelles. Les études montrent que 64% des adolescents musulmans se sentent tiraillés entre tradition et choix personnel. Ce conflit se cristallise particulièrement autour des symboles visibles comme le voile.

Des parcours intimes et complexes

Khadija, 42 ans, a retiré son voile après 23 ans : « Ma foi n’a pas changé, mais j’ai réalisé que mon hijab était devenu une performance pour les autres plutôt qu’un acte d’adoration. » Sa quête d’authenticité spirituelle l’a paradoxalement conduite à abandonner ce qu’elle considérait auparavant comme une obligation religieuse.

Pour Leila, 31 ans, le déclic est venu après des années de harcèlement au travail : « Je devais constamment prouver que j’étais ‘intégrée’ malgré mon voile. Un jour, j’ai craqué. Je l’ai enlevé, non par conviction, mais par épuisement. » Son témoignage révèle la violence invisible que subissent de nombreuses femmes voilées en Occident.

Ces parcours illustrent la complexité d’une décision souvent présentée à tort comme binaire – religiosité contre émancipation – alors qu’elle relève d’une négociation subtile entre foi personnelle, pressions extérieures et affirmation identitaire.

Entre libération et nouvelle contrainte

Le retrait du voile s’accompagne fréquemment de conséquences sociales. Yasmine, Franco-Marocaine de 26 ans, témoigne : « Ma famille a bien réagi, mais certaines amies voilées m’ont supprimée des réseaux sociaux. Comme si j’avais trahi notre combat commun. » Cette réaction illustre comment le voile est devenu un symbole identitaire dépassant sa dimension religieuse.

Le phénomène s’inscrit dans un contexte plus large de métamorphose silencieuse qui redéfinit l’identité religieuse dans de nombreux pays. Pour certaines femmes, retirer le voile représente une libération; pour d’autres, c’est une concession douloureuse face aux discriminations.

En Turquie, après des décennies d’interdiction du voile dans les universités et institutions publiques, sa légalisation en 2013 a paradoxalement conduit certaines femmes à le retirer, le percevant désormais comme un symbole politique plutôt que spirituel.

Vers une spiritualité choisie

Des initiatives émergent pour accompagner les femmes dans cette transition. L’association « Chemins pluriels » propose un espace de dialogue où femmes voilées et non-voilées partagent leurs expériences sans jugement. « Nous défendons le droit de porter le voile autant que celui de l’enlever, » explique sa fondatrice, Soraya Benmoussa.

Sur internet, des forums comme « Muslim Women Choices » offrent soutien et ressources théologiques alternatives, présentant des interprétations coraniques contextualisées qui remettent en question l’obligation du hijab.

Ces ressources participent à l’émergence d’une spiritualité musulmane féminine qui revendique l’autonomie d’interprétation. Comme le résume Amina, théologienne: « La question n’est plus de porter ou non le voile, mais de reprendre le pouvoir sur notre relation à Dieu et à notre corps, loin des injonctions masculines, qu’elles viennent des imams conservateurs ou des politiques occidentaux. »

À l’image d’un proverbe arabe revisité par les féministes musulmanes contemporaines: « Les chemins vers Dieu sont aussi nombreux que les souffles des créatures » – y compris ceux qui passent par le retrait d’un voile autrefois considéré comme inséparable de l’identité musulmane féminine. 🌷

Karim Al-Mansour

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