Musulmans culturels : 67% des jeunes redéfinissent leur identité hors de la foi

Dans le salon familial décoré pour l’Aïd, Karim, 32 ans, aide sa mère à disposer les pâtisseries traditionnelles. « Je ne crois plus depuis des années, mais je ne manquerais ces moments pour rien au monde », confie-t-il à voix basse. Ce jeune ingénieur parisien incarne une réalité de plus en plus visible : ces personnes issues de familles musulmanes qui, ayant pris distance avec la foi, continuent néanmoins d’entretenir un lien fort avec les traditions culturelles. Un phénomène qui touche particulièrement la génération des 25-40 ans, dont 67% redéfinissent leur identité musulmane en dehors du cadre strictement religieux.

Entre héritage et choix personnel : une identité en mutation

Pour Samira, enseignante de 28 ans, le Ramadan reste un moment incontournable : « Je ne prie plus, mais je jeûne toujours. C’est un moment où je me reconnecte avec mon enfance, mes racines. » Cette pratique sélective illustre comment certains rituels, détachés de leur dimension spirituelle, deviennent des marqueurs identitaires et des ponts intergénérationnels.

Cette tendance reflète une évolution significative dans la façon dont l’identité musulmane se construit aujourd’hui. De nombreux jeunes opèrent une distinction entre l’islam comme foi et l’islam comme culture, choisissant de préserver ce qu’ils considèrent comme un patrimoine précieux.

« L’appartenance culturelle n’est pas moins authentique que l’appartenance religieuse », explique Nadia Henni-Moulaï, journaliste et auteure. « Beaucoup trouvent dans les traditions un ancrage identitaire qui n’implique pas nécessairement une adhésion aux dogmes. »

Des traditions réinventées et négociées

Cette distance avec la foi ne signifie pas abandon total. Au contraire, elle s’accompagne souvent d’une réinterprétation créative des traditions. Lors des fêtes religieuses, des mariages ou des naissances, ces « musulmans culturels » participent activement, tout en adaptant leur implication.

Amine, graphiste de 35 ans, raconte : « Pour le mariage de ma sœur, j’ai participé à la cérémonie traditionnelle par respect pour mes parents. J’y ai même trouvé une beauté que je n’avais jamais remarquée quand j’étais croyant. Sans la pression religieuse, je redécouvre ces rituels sous un angle esthétique et social. »

Ces négociations identitaires ne sont pas toujours simples. Pour beaucoup d’ex-musulmans qui vivent dans l’ombre, le respect des traditions devient une stratégie de préservation des liens familiaux. « Je laisse croire à ma famille que je pratique encore », confie Leila, 30 ans. « Pendant les fêtes, je participe pleinement. Le reste du temps, j’ai ma vie à moi. C’est un équilibre fragile, mais nécessaire. »

La famille au cœur des tensions et des compromis

La famille constitue souvent l’espace où se cristallisent ces tensions entre foi abandonnée et traditions préservées. Pour beaucoup, maintenir certaines pratiques représente un acte d’amour envers les parents et grands-parents, plutôt qu’une soumission à des préceptes religieux.

« Il existe une différence fondamentale entre abandonner sa foi et rejeter sa culture. La plupart des personnes qui s’éloignent des croyances religieuses cherchent néanmoins à préserver un sentiment d’appartenance culturelle. C’est une forme de loyauté, non pas envers un dogme, mais envers une histoire familiale », observe la sociologue Nacira Guénif-Souilamas.

Pour les parents, accepter cette évolution représente également un défi. Certaines familles parviennent à établir un dialogue ouvert, d’autres maintiennent un silence tacite où chacun joue son rôle sans aborder frontalement les questions de foi.

Vers une réinvention des rituels à l’ère numérique

Cette génération ne se contente pas de reproduire les traditions. Elle les transforme, notamment à travers les réseaux sociaux. La génération Z musulmane revisite ainsi les piliers traditionnels dans un contexte contemporain et numérique.

Sur Instagram, TikTok ou YouTube, des contenus célébrant la cuisine du Ramadan, les décorations de l’Aïd ou les tenues traditionnelles fleurissent, souvent créés par des jeunes qui ne pratiquent plus mais valorisent cet héritage. Ces plateformes deviennent des espaces où s’exprime une identité hybride, détachée des contraintes religieuses mais ancrée dans un patrimoine culturel revendiqué.

« Je prépare les mêmes recettes que ma grand-mère pour l’Aïd et je les partage sur mon compte Instagram », explique Yasmine, 26 ans. « Pour moi, c’est une façon de dire que ces traditions m’appartiennent aussi, même si j’ai pris mes distances avec la religion. »

Un chemin personnel vers l’authenticité

Cette navigation entre détachement spirituel et attachement culturel reflète une quête d’authenticité. Loin des jugements binaires, ces parcours témoignent d’une volonté de construire une identité cohérente avec ses valeurs personnelles tout en honorant son héritage.

L’initiative « Conversations Héritées », un cercle de parole lancé à Marseille, illustre ce besoin. Ce groupe réunit mensuellement des personnes de culture musulmane, croyantes ou non, pour échanger sur leur rapport aux traditions. « Nous créons un espace sans jugement où chacun peut exprimer comment il négocie cette part de son identité », explique Farid, son fondateur.

Cette démarche révèle que le respect des traditions peut constituer non pas un poids, mais une ressource qui enrichit l’existence, même sans adhésion à la foi. Comme le résume un proverbe arabe revisité par ces jeunes générations : « Les racines ne t’emprisonnent pas, elles te nourrissent où que tu ailles. » 🌱

Karim Al-Mansour

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