Rûmî : 25 000 vers de sagesse soufie écrits en 1273 inspirent encore 750 ans après

Dans le firmament de la poésie soufie, une étoile brille d’un éclat particulier : Jalāl al-Dīn Muhammad Rūmī, plus connu sous le nom de Rûmî. Né en 1207 à Balkh, dans l’actuel Afghanistan, ce poète mystique a transcendé les frontières du temps et de l’espace pour devenir l’une des voix les plus influentes de la spiritualité islamique. Plongeons dans l’univers fascinant de cet homme dont les vers continuent d’inspirer des millions de personnes à travers le monde.

Une rencontre qui changea tout

La vie de Rûmî prit un tournant décisif en 1244 lorsqu’il rencontra Shams ed Dîn Tabrîzî à Konya, en Turquie. Cette rencontre spirituelle fut si profonde qu’elle transforma Rûmî, le faisant passer d’un théologien respecté à un poète mystique passionné. Shams devint son maître spirituel, insufflant une nouvelle dimension à sa compréhension de l’amour divin. Cette relation intense est à l’origine des « Odes mystiques » (Diwân-e Shams-e Tabrîzî), un recueil de poèmes où Rûmî utilise souvent le nom de Shams comme nom de plume, témoignant de l’impact indélébile de cette rencontre sur son œuvre.

Cette transformation spirituelle rappelle l’importance des lieux sacrés dans l’Islam, où de telles rencontres peuvent se produire. À ce titre, Chinguetti, la 7ème ville sainte de l’Islam en Mauritanie, offre un exemple fascinant de lieu propice à la méditation et à l’élévation spirituelle, tout comme Konya le fut pour Rûmî.

Le Masnavi : Un chef-d’œuvre universel

L’œuvre maîtresse de Rûmî, le Masnavi, est un vaste poème de 25 000 vers considéré comme l’un des plus grands trésors de la littérature soufie. Ce texte monumental mêle habilement commentaires ésotériques du Coran, hadiths, et fables universelles, dont certaines inspirées d’Ésope via le célèbre « Kalila et Dimna » d’Ibn al-Muqaffa. Cette fusion de sagesses diverses illustre l’approche inclusive de Rûmî, qui fréquentait aussi bien les chrétiens que les juifs et les musulmans, prônant un amour transcendant les barrières religieuses.

La richesse linguistique et culturelle de l’œuvre de Rûmî fait écho à la diversité du patrimoine islamique. Tout comme les inscriptions multilingues découvertes à Medinet Madi, un joyau archéologique en Égypte, les écrits de Rûmî témoignent de la complexité et de la richesse de l’héritage culturel islamique.

L’héritage durable des derviches tourneurs

Rûmî est également connu pour avoir fondé l’ordre des mevlevis, communément appelés « derviches tourneurs ». Cette confrérie soufie est célèbre pour sa danse rituelle, le Sema, où les derviches tournent sur eux-mêmes dans un état de transe méditative. Ce rituel symbolise le voyage spirituel de l’homme vers la perfection à travers l’amour, abandonnant son ego pour atteindre la vérité divine.

« Viens, viens, qui que tu sois, vagabond, adorateur, amoureux de quitter, peu importe. Notre caravane n’est pas celle du désespoir. Viens, même si tu as rompu tes vœux un millier de fois. Viens, viens encore, viens. »

Ces mots de Rûmî illustrent parfaitement son message d’amour universel et d’acceptation, qui continue de résonner à travers les siècles. L’ordre des mevlevis, bien que temporairement interdit en Turquie au début du XXe siècle, a connu un renouveau et est aujourd’hui reconnu par l’UNESCO comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

L’héritage artistique et spirituel de Rûmî s’inscrit dans la riche tradition de l’art islamique à travers les siècles, où la beauté visuelle et la profondeur spirituelle se rejoignent pour créer des œuvres d’une intemporelle splendeur.

Un poète pour notre temps

Aujourd’hui, plus de sept siècles après sa mort, Rûmî demeure l’un des poètes les plus lus au monde. Ses vers sont psalmodiés lors de pèlerinages en Inde, en Afghanistan et en Iran, tandis que sa mémoire est vénérée dans les villages turcs. En Occident, il est reconnu comme l’un des plus grands poètes mystiques de tous les temps, ses paroles de sagesse et d’amour transcendant les barrières culturelles et religieuses.

L’universalité du message de Rûmî, son appel à l’amour divin et à la compréhension mutuelle, résonne particulièrement dans notre monde moderne, souvent divisé. Sa poésie nous rappelle que, au-delà de nos différences apparentes, nous partageons une humanité commune et une aspiration universelle à l’amour et à la vérité.

Rûmî reste ainsi une figure incontournable du patrimoine spirituel et culturel de l’Islam, un phare guidant ceux qui cherchent à approfondir leur compréhension de l’amour divin et de la sagesse universelle. Son legs nous invite à regarder au-delà des apparences, à embrasser la diversité et à chercher l’unité dans notre quête spirituelle commune.

Karim Al-Mansour