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Société

05.03.2020

Falloujah, la campagne perdue de Feurat Alani

Après le succès de Parfum d’Irak, Feurat Alani revient nous raconter les souvenirs de son pays d’origine avec Falloujah, ma campagne perdue: roman graphique publié aux éditions Les Escales, qui rend hommage à la ville de ses parents et nous plonge dans les conséquences désastreuses de l’intervention américaine en Irak.

L’année 2019 fut riche en émotions pour Feurat Alani. En octobre dernier, il a reçu le prestigieux prix Albert Londres, dans la catégorie livre pour Parfum d’Irak. Une bande dessinée, à mi chemin entre le journal intime et le travail journalistique, qui racontait ses réminiscences d’enfance dans le pays de ses parents et notamment de son père: Amir Alani. Décédé depuis, c’est à lui qu’il dédicace aujourd’hui Falloujah, ma campagne perdue. Un hommage poignant à une ville irakienne, autrefois moderne et florissante. Un paradis meurtri qui a perdu sa verdure et troqué son stade municipal contre un cimetière. Mais aussi le témoignage d’une destruction injuste au milieu de laquelle l’auteur parvient malgré tout, à retenir le souffle de vie de ses habitants.

Ta bande dessinée reprend une enquête journalistique que tu avais mené en 2011 sur l’apparition de malformations congénitales et de cancers chez des vétérans américains de la guerre d’Irak et chez des civils irakiens. Peux-tu nous rappeler le contexte de cette enquête?

À l’époque, j’étais correspondant à Bagdad où je m’étais installé fin 2003. J’allais souvent à Falloujah et on me parlait beaucoup de cancers, de bébés déformés, mais ces histoires me paraissaient tellement incroyables que je n’arrivais pas à y croire. Quelques mois plus tard, on m’a rapporté des photos et j’ai pu voir de mes propres yeux que c’était la vérité. C’était environ 5 ans après les deux grands batailles de Falloujah qui avaient opposé les insurgés irakiens aux armées américaine et irakienne. La ville avait été détruite par les armes toxiques et beaucoup de ses habitants commençaient à montrer des symptômes de maladies, on recensait aussi de nombreuses naissances d’enfants avec des malformations congénitales. Si le lien me paraissait évident, il fallait enquêter car c’était un sujet très politique et tabou. De plus, les américains avaient complètement encerclé la ville, et il était impossible d’y rentrer.

Qu’est-ce qui t’a le plus marqué chez ces victimes?

Ce qui m’a marqué à chacune des rencontres, c’était la détresse et le désespoir dans le regard des gens. À Falloujah, des familles sans antécédents médicaux se retrouvaient, du jour au lendemain, avec des problèmes de santé, des bébés déformés ou qui meurent au bout de quelques jours. Le handicap est un sujet tabou dans le monde arabe, surtout en Irak, où les gens le considèrent comme une honte. J’ai donc été marqué par les familles qui ont accepté de me rencontrer et de relever ce challenge de montrer ce tabou de la société irakienne. Ensuite, de voir qu’à des milliers de kilomètres, aux Etats-Unis, les acteurs de la guerre avaient eux aussi été touchés de la même manière, m’a conforté dans l’idée que cette enquête était nécessaire.

Le livre se termine sur une note assez sombre avec la montée de groupes extrémistes dans la ville. Au regard des manifestations qui ont eu lieu en octobre dernier, es-tu optimiste quant à l’avenir de l’Irak?

Oui je suis optimiste, surtout quand je vois la jeunesse se soulever de manière spontanée et non sectaire, revendiquant uniquement l’identité irakienne et rien d’autre. À Falloujah, les jeunes ont manifesté dès 2012, bien avant les manifestations chiites qui ont eu lieu à Bagdad. Mais ils ont malheureusement été réprimé par le régime de l’époque, celui de Nouri Maliki. Maintenant ils n’osent plus bouger le petit doigt car ils gardent le souvenir des brimades et des nombreux morts. Avec ce livre, j’ai voulu raconter un Irak perdu mais aussi la destruction d’un pays par son symbole le plus fort, Falloujah, qui a un moment s’est rebellé contre les Etats-Unis.

Quel est son défi majeur?

Le défi majeur de l’Irak c’est d’être autonome, indépendant et libre de toute influence étrangère, notamment celle de l’Iran et des Etats-Unis. Depuis le départ des troupes américaines en 2011, L’Iran s’est encore plus implanté dans toutes les strates de la société: économiques, politiques et sociales. C’est un vrai problème et la raison pour laquelle la jeunesse manifeste aujourd’hui. Mais lutter contre la corruption et renouveler l’ensemble du système politique Irakien en est un aussi.

Publié le 5 March 2020

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