Iftar interreligieux : 80 personnes brisent le jeûne et les préjugés à Paris

Dans une salle communautaire du 18ème arrondissement de Paris, Fatima s’affaire à disposer des dattes sur un plateau décoré. Autour d’elle, Sarah, kippa sur la tête, arrange méticuleusement des verres à thé marocains, tandis que Thomas, étudiant en théologie chrétienne, déplie des nappes aux couleurs chatoyantes. Ce soir, comme chaque année depuis cinq ans, leur collectif « Fraternité Abrahamique » organise un iftar interreligieux qui réunira plus de 80 personnes de confessions différentes. « Ce qui a commencé comme une simple idée entre amis est devenu un rendez-vous attendu par toute la communauté, » explique Fatima avec un sourire. 🌙✡️✝️

L’iftar interreligieux : un pont entre les communautés 🌉

L’iftar, rupture quotidienne du jeûne pendant le Ramadan, transcende aujourd’hui sa dimension strictement religieuse pour devenir un puissant outil de dialogue interculturel. Traditionnellement célébré en famille ou à la mosquée avec le partage de dattes et d’eau, ce moment symbolique s’ouvre désormais à des rencontres interconfessionnelles qui célèbrent la diversité.

« L’iftar porte en lui les valeurs coraniques d’hospitalité et de partage, » explique Karim Benaïssa, imam à Marseille. « Quand nous invitons des personnes d’autres confessions, nous perpétuons cette tradition d’ouverture inscrite dans notre héritage. » Ces initiatives s’inscrivent dans une démarche qui dépasse la simple convivialité pour devenir un véritable acte citoyen, particulièrement significatif dans un contexte où les familles réinventent l’iftar face aux défis du quotidien.

Du Maroc aux Émirats Arabes Unis, en passant par Jérusalem, ces initiatives se multiplient avec des formes adaptées aux contextes locaux. À Tarragone, le consulat marocain organise régulièrement des iftars fraternels réunissant musulmans, juifs et chrétiens sous le slogan de la coexistence, perpétuant un modèle de dialogue inspiré de l’histoire de la cohabitation des trois monothéismes sous le règne alaouite.

Des témoignages qui transforment les perceptions 👥

À Jérusalem, ville emblématique des trois religions monothéistes mais aussi théâtre de tensions persistantes, Nazira et son mari Sami accueillent chaque année des familles juives et chrétiennes pour l’iftar dans le cadre de l’initiative « Breaking Bread Together » portée par l’association Kids4Peace.

« La première fois, j’étais nerveuse, » confie Nazira. « Mais voir nos enfants jouer ensemble pendant que nous, adultes, découvrions nos traditions respectives a été une révélation. Ces moments sont devenus une source d’inspiration pour toute notre famille et un outil précieux pour l’éducation à la tolérance de nos enfants. »

« Les repas partagés ont toujours été des catalyseurs de paix dans l’histoire de l’humanité. L’iftar interreligieux représente une opportunité unique où le sacré rencontre le quotidien, créant un espace où les différences deviennent source d’enrichissement mutuel plutôt que de division. » – Dr. Maryam Halawi, sociologue des religions à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth

Ces témoignages font écho à des initiatives similaires ailleurs dans le monde. À Dubaï, des bénévoles musulmans, juifs et chrétiens distribuent ensemble des repas d’iftar aux chauffeurs routiers, tandis qu’en Égypte, un iftar monumental a rassemblé 12 000 participants musulmans et coptes, transformant un simple repas en manifeste pour la fraternité.

Entre tradition spirituelle et innovation sociale 🔄

Ces initiatives, bien qu’ancrées dans une tradition religieuse, témoignent d’une évolution significative dans la pratique. Pour certains participants, l’engagement peut varier considérablement, comme le montrent les études sur le tabou du non-jeûne chez les musulmans ou les pratiques de ceux pour qui le Ramadan devient une pratique culturelle plutôt que spirituelle.

Au Liban, fait méconnu, des chrétiens choisissent de jeûner volontairement pendant le Ramadan en solidarité avec leurs concitoyens musulmans, créant une dynamique d’unité inédite qui transcende les différences confessionnelles.

L’équilibre entre respect des traditions et innovation sociale constitue le défi central de ces initiatives. Comment préserver l’authenticité spirituelle de l’iftar tout en l’ouvrant à d’autres confessions? Pour Mehdi Hakimi, organisateur d’iftars interreligieux à Lyon, la réponse réside dans la structure même de l’événement: « Nous commençons toujours par expliquer la signification religieuse du Ramadan et le rituel de l’iftar. Ensuite, nous partageons un moment de recueillement où chacun peut prier selon sa tradition, avant de passer au repas et aux échanges. »

Défis et perspectives d’avenir 🌱

Malgré leur popularité croissante, ces initiatives font face à des défis significatifs. Dans les zones de conflit comme en Israël ou en Palestine, ces événements restent exceptionnels en raison des tensions politiques. Ailleurs, le risque existe de voir l’iftar interreligieux réduit à un simple exercice diplomatique vidé de sa substance spirituelle.

La jeunesse joue un rôle crucial dans le renouvellement de ces pratiques. Sur les réseaux sociaux, de jeunes musulmans, juifs et chrétiens partagent leurs expériences d’iftars communs, contribuant à normaliser ces rencontres et à inspirer d’autres initiatives similaires. L’association « Coexist » à Marseille, fondée par des étudiants des trois confessions, organise des iftars mensuels dans différents lieux de culte, créant un calendrier interreligieux qui s’étend bien au-delà du seul Ramadan.

Ces initiatives s’inscrivent dans une évolution plus large de la perception du dialogue interreligieux, passant d’une démarche institutionnelle et formelle à des rencontres plus personnelles et authentiques, ancrées dans le partage d’expériences concrètes.

L’UNESCO a d’ailleurs reconnu en 2023 l’importance culturelle de l’iftar en l’inscrivant au patrimoine culturel immatériel, soulignant sa dimension universelle qui transcende les appartenances religieuses.

Comme le résume un proverbe arabe souvent cité lors de ces rencontres: « Partagez un repas avec quelqu’un, et vous ne pourrez plus jamais être ennemis. » Dans un monde fragmenté, ces moments de communion autour d’une table rappellent que la diversité, loin d’être une menace, constitue une richesse à cultiver avec soin. 🕊️

Karim Al-Mansour

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