Infertilité: Comment 15% des couples musulmans défient tabous et traditions

Sous le poids des regards interrogateurs et des questions lancinantes de la famille, Samia et Karim traversent depuis cinq ans le désert de l’infertilité. « À chaque fête, c’est la même chose. Les femmes de ma belle-famille me scrutent, me donnent des conseils, demandent si j’ai essayé telle plante ou telle invocation », confie Samia, 32 ans. Pour ce couple franco-algérien, l’épreuve est double : affronter les traitements médicaux et naviguer entre principes religieux et pressions culturelles. Une réalité partagée par 10 à 15% des couples musulmans, souvent dans un silence douloureux.

Les réalités modernes de l’infertilité en contexte musulman 📖

L’infertilité, loin d’être uniquement une épreuve médicale, revêt une dimension spirituelle et sociale particulière dans les communautés musulmanes. Le désir d’enfant s’inscrit dans une tradition où la procréation est considérée comme une bénédiction divine et une finalité du mariage. « Le prophète Mohammed nous encourageait à nous multiplier », rappelle l’imam Mehdi Azaiez, spécialiste en éthique médicale islamique.

Pourtant, la médecine reproductive moderne ouvre des possibilités encadrées par des principes religieux stricts. La procréation médicalement assistée (PMA) est généralement acceptée sous conditions précises : utilisation exclusive des gamètes du couple marié, sans intervention de tiers donneurs. « La préservation de la filiation est un principe fondamental en islam », explique Khadija Moussayer, médecin et présidente de l’Alliance des Maladies Rares au Maroc.

Cette position diffère selon les écoles juridiques. Si les sunnites rejettent unanimement les dons de gamètes, certains courants chiites autorisent des formes de PMA plus étendues, reflétant une quête d’authenticité qui bouscule les traditions. Ces nuances témoignent de la complexité d’un sujet où théologie et science s’entrecroisent.

Perspectives diverses au sein des communautés 🧾

Les attitudes face à l’infertilité varient considérablement selon les milieux et les générations. Dans les communautés rurales traditionnelles, la pression sociale pèse davantage sur les femmes, souvent tenues pour seules responsables. « J’ai dû expliquer à ma belle-mère que mon mari avait aussi un problème de fertilité. Elle refusait de l’entendre », témoigne Fatima, 38 ans, Marocaine vivant à Casablanca.

À l’inverse, dans les milieux urbains et parmi les jeunes générations, une approche plus équilibrée émerge. « Quand le diagnostic est tombé, mon mari m’a tout de suite rassurée en me disant que c’était notre épreuve commune », raconte Amina, 29 ans. Cette solidarité conjugale témoigne d’une évolution des mentalités.

« L’infertilité est une épreuve divine qui peut être surmontée par la médecine moderne, tant que celle-ci respecte les limites éthiques islamiques. Le Coran nous rappelle que la patience est vertueuse, mais cela n’interdit pas de chercher des solutions. Le prophète Zakaria lui-même a prié pour avoir un enfant malgré son âge avancé. » — Dr. Soumaya Hallak, psychologue spécialisée en accompagnement des couples musulmans

Les hommes, longtemps préservés des questionnements sur l’infertilité, commencent également à s’exprimer. Cette évolution s’inscrit dans un contexte plus large où les rôles parentaux se redéfinissent, comme l’illustre la manière dont certaines mères musulmanes assurent désormais seules la transmission de la foi.

Témoignages et expériences vécues 📝

Nadia et Youssef, couple tunisien, ont traversé six années de traitements avant de concevoir leur fils par FIV. « Le plus difficile était le regard des autres. Aux mariages, on nous demandait pourquoi nous n’avions pas d’enfants. J’inventais des excuses professionnelles », confie Nadia. Pour ce couple, la discrétion s’est imposée comme stratégie de protection.

Kamal, d’origine pakistanaise, a dû faire face à des pressions familiales pour prendre une seconde épouse après avoir découvert son infertilité. « Ma foi m’a donné la force de refuser. Mon imam m’a conforté en me rappelant que l’amour et le soutien mutuel sont aussi importants que la procréation dans le mariage. »

Pour Malika, 36 ans, le parcours PMA a été jalonné de questionnements religieux : « Chaque étape, je consultais mon imam. Il m’a rassurée sur la licéité des traitements tant que nous restions dans le cadre du couple marié. Cela m’a permis d’avancer sereinement. » Cette démarche reflète comment la jeune génération redéfinit l’expression des sentiments et des épreuves personnelles dans le cadre islamique.

L’équilibre entre tradition et modernité 🤔

Les couples musulmans confrontés à l’infertilité évoluent entre médecine moderne et spiritualité traditionnelle. Beaucoup combinent traitements médicaux et pratiques spirituelles comme le ruqyah (incantations coraniques) ou des invocations spécifiques, notamment celles du prophète Zakaria mentionnées dans le Coran.

Les forums en ligne et groupes WhatsApp dédiés témoignent de cette recherche d’équilibre. « On y partage des conseils médicaux mais aussi des invocations, des récits inspirants de prophètes qui ont eu des enfants tardivement », explique Samira, modératrice d’un groupe Facebook comptant plus de 5000 membres.

L’acceptation progressive des techniques de PMA s’accompagne néanmoins de limites strictes. « Beaucoup de couples s’arrêtent dans leur parcours médical quand les médecins proposent des interventions impliquant des donneurs, incompatibles avec les principes islamiques de filiation », observe le Dr. Nadia Meziane, gynécologue à Rabat.

Ressources et initiatives inspirantes 🌱

Face à ce défi, des initiatives communautaires émergent. L’association « Amal » (Espoir) au Maroc offre soutien psychologique et informations aux couples infertiles. En France, le collectif « Barakallah Famille » organise des groupes de parole et des webinaires avec des experts religieux et médicaux pour accompagner les parcours d’infertilité.

Des imams formés aux questions bioéthiques proposent désormais des consultations spécifiques. « Nous avons créé un guide pour les couples, expliquant les différentes techniques de PMA et leur statut au regard de la jurisprudence islamique », indique l’imam Hassan Iquioussen.

Certaines cliniques de fertilité dans les pays musulmans ont également adapté leurs protocoles pour respecter les sensibilités religieuses, notamment concernant la conservation des embryons et les interventions médicales pendant le Ramadan.

L’épreuve de l’infertilité, bien que douloureuse, devient parfois un catalyseur de résilience et de spiritualité approfondie pour les couples musulmans. Comme le résume ce proverbe arabe souvent cité dans les groupes de soutien : « La patience est amère, mais ses fruits sont doux. » Dans cette attente, entre espoir médical et confiance en Dieu, de nombreux couples trouvent une nouvelle profondeur dans leur relation et leur foi.

Karim Al-Mansour

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