Jeunes musulmans: 67% rejettent les normes genrées familiales

Dans la cuisine ouverte d’un appartement parisien, Amina, 23 ans, prépare un thé à la menthe en discutant animément. « Mon père m’a toujours dit que cuisiner était un ‘truc de fille’, mais mon frère est bien meilleur pâtissier que moi, » sourit-elle en ajustant son hijab coloré. Étudiante en informatique et bénévole dans une association de quartier, elle fait partie de cette génération de jeunes musulmans qui redéfinissent les rôles genrés traditionnellement associés à leur religion. Un phénomène qui s’amplifie, comme le confirme une récente étude montrant que 67% des musulmans de 18-25 ans remettent en question certaines normes genrées transmises par leur famille.

Une quête d’authenticité spirituelle au-delà des codes culturels

Pour de nombreux jeunes musulmans, le rejet des codes genrés s’inscrit dans une démarche plus large de quête d’authenticité religieuse. « J’ai commencé à lire le Coran par moi-même, à étudier les textes. Nulle part je n’ai trouvé écrit que les hommes ne pouvaient pas s’occuper des enfants ou que les femmes devaient obligatoirement rester à la maison, » explique Karim, 27 ans, ingénieur et père au foyer depuis la naissance de son fils.

Cette génération opère une distinction cruciale entre pratiques culturelles et préceptes religieux. Selon la sociologue Zahra Ayubi, que nous avons interrogée, « beaucoup de ces jeunes remettent en question non pas l’islam lui-même, mais des interprétations culturelles et traditionnelles qu’ils jugent patriarcales. Ils recherchent un islam plus fidèle à ce qu’ils perçoivent comme ses valeurs fondamentales d’égalité et de justice. »

Cette démarche s’observe particulièrement dans les milieux urbains européens et nord-africains, où l’accès à l’éducation et la confrontation à différents modèles sociétaux favorisent ce questionnement. En Tunisie notamment, on constate une tendance chez les jeunes à contester ouvertement certains codes religieux traditionnels liés au genre, allant jusqu’à remettre en question des tabous sociaux profondément ancrés.

Des réinterprétations théologiques pour une pratique plus égalitaire

Loin d’abandonner leur foi, ces jeunes musulmans s’engagent dans un travail de réappropriation textuelle. Nadia, 31 ans, enseignante d’études islamiques à Lyon, anime un cercle d’étude où hommes et femmes réexaminent ensemble les textes sacrés : « Nous analysons les hadiths en tenant compte de leur contexte historique. Certaines interprétations traditionnelles reflètent davantage les sociétés patriarcales de l’époque que le message spirituel fondamental. »

Ce travail s’inscrit dans le sillage du féminisme islamique qui, depuis plusieurs décennies, propose des lectures alternatives des textes sacrés. « Il ne s’agit pas de rejeter la religion, mais de la vivre d’une manière qui respecte notre dignité en tant qu’êtres humains égaux, » précise Samira, doctorante en théologie qui étudie les différentes écoles de pensée islamique.

Les réseaux sociaux jouent un rôle déterminant dans cette dynamique, comme en témoigne le succès des comptes Instagram et TikTok abordant ces questions. Ces plateformes permettent à des jeunes musulmans de différents pays d’échanger sur leurs expériences et de partager des ressources, comme le souligne l’article Musulmans 2.0 : Comment la Gen Z concilie piété et modernité au quotidien.

Entre résistances familiales et pressions sociétales

Ce parcours d’émancipation n’est pas sans obstacles. Beaucoup témoignent de tensions familiales lorsqu’ils remettent en question les rôles traditionnels. « Quand j’ai annoncé que je voulais devenir imam, ma famille a d’abord réagi avec incompréhension, » raconte Yasmine, 29 ans, qui dirige aujourd’hui une mosquée inclusive à Berlin.

À ces tensions intracommunautaires s’ajoutent les pressions externes. « D’un côté, on nous reproche de ne pas être assez émancipés par rapport aux normes occidentales, et de l’autre, certains membres de notre communauté nous accusent de trahir nos traditions, » résume Ahmed, militant associatif à Marseille.

« Ces jeunes musulmans naviguent constamment entre différentes formes d’injonctions contradictoires. Leur démarche est souvent mal comprise car elle échappe aux catégories simplistes. En rejetant certains codes genrés tout en affirmant leur foi, ils créent un espace identitaire nouveau qui dérange aussi bien les conservateurs religieux que les tenants d’une laïcité rigide, » analyse Fatima Khemilat, politologue spécialiste des questions de genre et de religion.

Ces défis sont particulièrement complexes pour les personnes LGBTQ+ musulmanes, qui développent des stratégies spécifiques pour concilier leur identité sexuelle et leur spiritualité, comme le détaille l’article Musulmans LGBTQ+ : 5 stratégies de résilience face aux défis identitaires.

Des initiatives inspirantes qui ouvrent la voie

Face à ces défis, de nombreuses initiatives communautaires émergent. À Paris, l’association « Paroles de femmes » organise des cercles d’étude mixtes sur les textes religieux. À Londres, la mosquée inclusive Imaan accueille tous les fidèles sans distinction de genre. Sur internet, des plateformes comme « Muslim Feminists » proposent des ressources théologiques accessibles.

Ces espaces alternatifs permettent l’émergence de nouvelles pratiques, comme l’explique Sophia, 26 ans : « Dans notre groupe de prière, nous avons décidé de réorganiser l’espace. Au lieu d’avoir une séparation stricte hommes-femmes, nous créons des espaces familiaux où les couples peuvent prier ensemble avec leurs enfants. »

Des influenceuses musulmanes participent également à ce mouvement, revendiquant une approche féministe du hijab et des pratiques religieuses, un phénomène analysé dans l’article Féminisme et hijab : ces musulmanes qui réinventent leur identité religieuse.

Une révolution silencieuse mais profonde

Cette remise en question des codes genrés par les jeunes musulmans constitue une révolution silencieuse aux implications profondes. Elle témoigne d’une capacité d’adaptation et de réinvention de la tradition face aux défis contemporains.

« Ce que nous voyons aujourd’hui n’est pas une rupture avec l’islam, mais une renaissance spirituelle qui renoue avec ses principes fondamentaux d’égalité et de justice, » affirme Malik, théologien et auteur. « Ces jeunes ne rejettent pas leur religion, ils la libèrent des interprétations culturelles qui l’ont parfois détournée de son message originel. »

Comme le résume un proverbe arabe souvent cité par ces jeunes croyants : « La sagesse n’est pas un arbre qui pousse dans un seul jardin. » Dans leur quête d’authenticité religieuse et d’équité entre les genres, ces musulmans contemporains illustrent la richesse et la diversité d’une foi vivante, capable de dialogue avec son temps tout en restant fidèle à ses valeurs essentielles.

Karim Al-Mansour

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