Prière sur le campus : le combat silencieux des étudiants musulmans pour la normalité

« Je ne demande pas qu’on m’installe une mosquée sur le campus, je veux juste pouvoir faire ma prière à l’heure sans me cacher comme si je faisais quelque chose de mal », confie Samira, 23 ans, étudiante en master de droit à l’université d’Aix-Marseille. Cette semaine, une vidéo la montrant en train de prier dans un coin discret de la bibliothèque universitaire a circulé sur les réseaux sociaux, déclenchant une nouvelle polémique sur la place de la religion dans l’espace universitaire. Pour l’administration, c’est une simple « anecdote ». Pour Samira et de nombreux autres étudiants musulmans, c’est le symptôme d’un malaise plus profond.

Entre visibilité et discrétion : le dilemme quotidien

« On veut juste vivre notre foi tranquillement », répètent comme un mantra ces étudiants pris entre le respect de leurs obligations religieuses et la volonté de s’intégrer sans heurts dans l’environnement universitaire. À Montpellier, Karim, étudiant en médecine, témoigne : « Avant les partiels, j’ai prié dans un coin de la bibliothèque. Quelqu’un m’a filmé, et soudain je suis devenu un « islamiste ». Je cherchais juste un espace adéquat pour quelques minutes de recueillement ».

Ces situations ne sont pas isolées. Selon une étude récente sur la spiritualité musulmane, un croyant sur deux privilégie aujourd’hui une foi silencieuse, moins visible, parfois par conviction personnelle mais souvent par nécessité sociale. Les étudiants développent des stratégies d’adaptation : prier dans les escaliers, sous-sols ou parcs à proximité des campus, organiser leur emploi du temps autour des heures de prière, ou simplement reporter leurs obligations religieuses.

Des réalités contrastées selon les origines et les parcours

Le vécu de ces étudiants varie considérablement selon leur parcours personnel et familial. Pour les jeunes issus de familles maghrébines récemment installées en France, la pratique religieuse s’inscrit souvent dans une continuité culturelle forte. D’autres, nés en France de parents ou grands-parents immigrés, vivent leur foi dans une négociation permanente entre tradition et modernité.

« Ma mère porte le hijab dans un rituel quotidien qui reflète toute une histoire familiale. Moi, je dois constamment jongler entre ce que ma famille attend et ce que la société française tolère », explique Nadia, étudiante à Lille. Cette double contrainte crée parfois des tensions intérieures que beaucoup peinent à exprimer.

« Ce que nous observons, c’est une génération qui développe une approche plus individualisée de la foi. Ces jeunes ne rejettent pas les fondements de leur religion, mais ils cherchent à l’exprimer d’une façon compatible avec leur citoyenneté française », analyse Farid Abdelkrim, sociologue spécialiste des questions religieuses.

Entre stigmatisation et reconnaissance : un équilibre fragile

Les incidents universitaires révèlent souvent un malaise plus profond. Quand une étudiante se voit refuser un espace pour prier, ce n’est pas seulement une question logistique, mais un message implicite sur la légitimité de sa pratique religieuse dans l’espace public. « J’entends souvent qu’on devrait garder la religion à la maison, mais comment faire quand on a cours toute la journée ? », interroge Hassan, étudiant en informatique à Saint-Denis.

Cette invisibilisation forcée pousse certains à se tourner vers des espaces numériques où ils peuvent exprimer plus librement leur spiritualité. Le phénomène des musulmans qui quittent les réseaux sociaux conventionnels pour se reconnecter à leur spiritualité illustre cette quête d’authenticité, loin des regards jugeants.

Vers une foi apaisée dans l’espace universitaire

Pour ces étudiants, l’aspiration à « vivre leur foi tranquillement » traduit un besoin fondamental de reconnaissance sans stigmatisation. Cette quête s’inscrit dans une évolution plus large de la spiritualité musulmane contemporaine, où la pratique religieuse cherche sa place dans des sociétés sécularisées.

« Je ne veux pas qu’on fasse de ma foi un problème politique », confie Samira en conclusion. « Quand je prie, je cherche la paix intérieure, pas le conflit. Est-ce vraiment trop demander ? »

Le dialogue reste ouvert, mais une chose est certaine : l’avenir de ces jeunes musulmans français se construira dans cette tension créatrice entre fidélité spirituelle et participation pleine à la société. Comme le dit un proverbe arabe : « La patience est la clé du confort ». Pour ces étudiants, le chemin vers une pratique religieuse sereine dans l’espace universitaire ressemble à un long exercice de patience et de persévérance.

Karim Al-Mansour

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