This website requires JavaScript.

Partager

Lifestyle

11.07.2018

Au Liban, la paix naît dans les assiettes

Au Liban, le métier de chef cuisinier s’ouvre aux femmes qui deviennent ainsi des parangons de la réconciliation entre les multiples communautés qui divisent le pays. Un dessein bien plus vaste encore se cache derrière l’initiative féministe de Kamal Mouzawak : faire de la cuisine traditionnelle et familiale un vecteur de paix.

Mar Mikhael, quartier arty et hispter très en vogue de Beyrouth. Dans l’effervescent équivalent libanais des bords du Canal Saint-Martin, la population est jeune, avide de sorties nocturnes et de bonnes adresses. En retrait des rues animées, l’activité bat son plein dans les cuisines de chez Tawlet, ce restaurant familiale et coopératif d’un genre nouveau qui a ouvert ses portes en 2009.

Les femmes aux commandes

Ici, ce sont les femmes qui sont aux commandes… Ou plutôt aux fourneaux, et ça c’est déjà quelque chose. Kamal Mouzawak a sillonné tout le Liban à la recherche des gardiennes du plus grand patrimoine immatériel de l’humanité : la cuisine traditionnelle et locale. Il a poussé les portes intimes des maisons les plus reculées pour convaincre mères et grands-mères de se lancer dans l’aventure et de quitter leurs appartements privés pour devenir de grands chefs !

Et quoi de plus symbolique pour ce pays de la gastronomie, que de panser les plaies et déchirures des guerres du passé en réunissant les cœurs autour de Tawlet, qui signifie « table » en arabe. Ici, les assiettes sont bien garnies, les plats faits maison, et surtout, faits par mamie ! En cuisine, elles sont plus de vingt femmes venues de tout le Liban pour se relayer chaque jour et servir des spécialités régionales comme on n’en trouve qu’à la maison !

“Les femmes libanaises vont à l’université puis se marient”

D’aucuns s’accorderont à dire qu’il n’y a rien de plus réconfortant que la cuisine de nos mères ou grand-mères. Pourtant, il est extrêmement rare d’avoir des chefs cuisiniers femmes. Et ceci est loin d’être une spécificité libanaise. Partout dans le monde, la gastronomie professionnelle est demeurée l’apanage des hommes, et ce malgré l’intégration progressive des femmes à la population active. Et pour cause, avec les horaires éprouvantes et les pics de stress durant les services, la restauration est restée un secteur globalement peu attrayant. « Ce n’est pas dans notre culture, explique Barbara Massaad, une consultante culinaire libanaise et auteure de plusieurs livres de cuisine locale, les femmes libanaises vont à l’université puis se marient ».

Dans les cuisines de Tawlet

Dans les cuisines de Tawlet, des femmes venues d’univers très différents travaillent main dans la main

Un défi donc pour Kamal Mouzawak ! Mais, c’est plutôt par nécessité que par passion que l’une d’entre elles, Oum Ali s’est, au départ, laisser convaincre. Cette femme avait 39 ans en 2004, lorsqu’elle s’est mise à faire de la cuisine son métier. Alors qu’elle était mère au foyer, les revenus de son mari fermier sont devenus insuffisants pour nourrir la famille. Oum Ali n’avait jamais été à l’école, elle a alors commencé à cuisiner pour les gens de son village. Au départ son mari n’était pas vraiment d’accord mais il a changé d’avis quand les fruits du travail d’Oum ont permis au ménage d’envoyer leurs quatre enfants à l’école et de se bâtir une nouvelle maison.

Rassembler des femmes d’horizons différents autour de la cuisine, un vecteur de réconciliation

Au-delà d’émanciper ces femmes, Kamal avait une idée bien plus vaste: créer une paix sociale. Il a ainsi fait appel à des femmes d’horizons très divers, aux traditions différentes, aux origines et confessions parfois opposées. Dans cette cuisine fermière des mères et grands-mères que tout oppose, des réfugiées syriennes ou philippines en passant par des palestiniennes aux côtés de femmes issues de la milice chrétienne, ont appris à se connaître en travaillant main dans la main. En leur donnant un espace pour s’échanger leurs secrets culinaires et ainsi, se raconter leurs histoires, Tawlet parvient avec succès à promouvoir les effets positifs du multiculturalisme et ça inonde les assiettes !

Kamal Mouzawak à Beyrouth

Kamal Mouzawak dans son restaurant de Mar Mikhael, Beyrouth (Crédit : Merci)

Par sa situation géographique et la richesse de son histoire, ce pays, pas plus grand que l’Île-de-France, réussit à faire fusionner toutes ses influences en une cuisine fine et authentique, qui sait innover tout en préservant ses traditions. Cette abondance des inspirations lui permet de rayonner et de faire écho dans toute la région moyen-orientale et au-delà, pour le plus grand ravissement des papilles. Kamal s’explique ainsi : « Que pouvez-vous faire d’autre pour rencontrer un réfugié ? Lui parler de poésie ? C’est difficile, alors qu’il est très facile de partager un repas. Ça ouvre le cœur et l’esprit »… et l’appétit !

À lire aussi

Jordanie : les réfugiés syriens règlent leurs courses par scan de l’iris

Publié le 11 July 2018

#Jordanie

#Liban