Deuil en islam : ces musulmans qui osent dire leur doute face à la perte

Quand l’imam a prononcé la dernière prière sur le corps de ma mère, j’ai senti le sol se dérober sous mes pieds. Moi, Karim, 32 ans, pratiquant depuis toujours, je me suis retrouvé dans un territoire inconnu. « Allah l’a rappelée à Lui », m’ont répété les proches venus présenter leurs condoléances. Ces mots qui m’avaient toujours semblé apaisants sonnaient soudain creux. Pendant des semaines, ma prière s’est faite mécanique, mes supplications silencieuses. Comment continuer à croire quand la douleur devient si intense qu’elle obscurcit même la lumière de la foi ? 📿

Le choc du deuil : quand la foi vacille 💔

Dans les communautés musulmanes, le deuil suit traditionnellement un cadre ritualisé : la toilette mortuaire (ghusl), l’enterrement rapide, les trois jours de recueillement, puis l’Arbaïn (commémoration du 40ème jour). Mais derrière ces pratiques codifiées se cache une réalité rarement abordée : la crise spirituelle que peut déclencher la perte d’un être cher.

« La mort d’un proche est souvent le moment où notre foi est mise à l’épreuve la plus sévère », explique Nadia Bennani, psychologue spécialisée dans l’accompagnement des personnes endeuillées. « Beaucoup de musulmans se sentent coupables d’éprouver de la colère ou de questionner leur foi après un décès, alors que ces réactions sont parfaitement normales dans le processus de deuil. »

Cette crise des repères touche particulièrement les jeunes générations, prises entre les injonctions communautaires à la résilience immédiate (« C’est la volonté d’Allah ») et leur besoin légitime de traverser pleinement leur douleur. Certains musulmans brisent aujourd’hui ce tabou, osant parler de ces moments où les larmes refusent de couler, où la prière devient impossible.

Entre tradition et besoin d’individualité 🔄

Ahmed, 45 ans, se souvient : « Après la mort de mon père, j’ai ressenti un immense vide spirituel. Moi qui priais cinq fois par jour, je n’arrivais plus à me concentrer. La pression familiale pour ‘rester fort’ et ‘accepter la volonté divine’ m’empêchait d’exprimer ma souffrance. J’ai même cessé de me rendre à la mosquée pendant plusieurs mois. »

Ce témoignage met en lumière la tension entre l’approche communautaire traditionnelle du deuil en islam et les besoins psychologiques individuels. Traditionnellement, le soutien communautaire s’exprime par une présence constante, des repas partagés, des récitations du Coran. Mais cette sollicitude peut parfois devenir étouffante pour celui qui a besoin d’espace pour apprivoiser sa douleur.

« Dans l’islam, le deuil est conçu comme un processus collectif où la communauté porte une partie du fardeau. Mais nos sociétés contemporaines valorisent davantage l’expression individuelle des émotions. Ce décalage crée parfois une souffrance supplémentaire chez les endeuillés musulmans qui se sentent incompris dans leur besoin d’intimité. » – Dr. Samia Khatib, spécialiste en psychologie interculturelle

La santé mentale : l’autre dimension du deuil 🧠

Fatima, 28 ans, raconte : « Après le décès de mon frère dans un accident, j’ai développé une angoisse permanente. Mes proches me recommandaient de prier davantage, mais j’avais besoin d’une aide professionnelle. Consulter un psychologue a été une démarche difficile à faire accepter dans mon entourage. »

La prise en compte des aspects psychologiques du deuil reste un sujet sensible dans certains milieux. Pourtant, la santé mentale devient progressivement un combat porté par les jeunes musulmans, qui militent pour une approche plus équilibrée où spiritualité et soutien psychologique se complètent plutôt que s’opposent.

Les imams les plus sensibilisés à ces questions commencent à jouer un rôle de passerelle, comme l’explique l’imam Rachid Eljay de Brest : « J’encourage les personnes endeuillées à chercher du soutien auprès de professionnels tout en maintenant leur pratique spirituelle. Les deux démarches sont complémentaires. Le Prophète lui-même pleurait ses proches, exprimant sa tristesse sans que cela n’entame sa foi. »

Retrouver le chemin de la foi 🕌

Le chemin pour réconcilier sa spiritualité et son deuil prend souvent du temps. Pour Soraya, 40 ans, c’est la prière d’istikhara qui a joué un rôle crucial : « Après avoir perdu ma grand-mère qui m’avait élevée, je me sentais abandonnée par Allah. La prière d’istikhara m’a aidée à retrouver progressivement un dialogue avec ma spiritualité, à accepter que je n’avais pas toutes les réponses. »

D’autres trouvent réconfort dans des cercles de parole entre coreligionnaires ayant traversé des épreuves similaires. Ces espaces, encore trop rares, permettent d’exprimer ses doutes sans craindre le jugement. L’association « Nour al-Qouloub » (Lumière des cœurs) à Marseille organise ainsi des rencontres mensuelles où les participants peuvent partager leurs expériences de deuil dans un cadre bienveillant qui respecte leur sensibilité religieuse.

Vers une approche plus holistique du deuil ✨

Les jeunes générations de musulmans français développent progressivement une approche plus intégrée du deuil, qui honore la tradition tout en reconnaissant la complexité émotionnelle de cette épreuve. Les réseaux sociaux jouent un rôle important dans cette évolution, permettant le partage d’expériences et brisant l’isolement des personnes traversant une crise spirituelle suite à un deuil.

Pour Yanis, 37 ans, revenu à la pratique après deux ans d’éloignement suivant le décès de sa fille : « J’ai compris que ma colère contre Allah faisait partie de mon cheminement. La foi n’est pas un long fleuve tranquille, elle connaît des tempêtes. Aujourd’hui, je prie à nouveau, différemment peut-être, avec une conscience plus profonde de notre fragilité. »

Cette réconciliation passe souvent par une réinterprétation personnelle des textes et traditions. « La miséricorde divine (rahma) est plus vaste que nos moments de doute », rappelle l’imam Taha Karimi. « Le Prophète nous a enseigné que Allah est plus proche de nous que notre veine jugulaire – même dans nos moments de révolte, Il comprend notre douleur mieux que nous-mêmes. »

Un ancien proverbe arabe résonne particulièrement auprès de ceux qui retrouvent leur chemin après la tempête du deuil : « La nuit paraît toujours plus noire juste avant l’aube. » Pour de nombreux musulmans ayant traversé une crise spirituelle suite à un deuil, c’est dans cette obscurité même qu’ils ont finalement redécouvert, sous une forme renouvelée, la lumière de leur foi. 🌟

Karim Al-Mansour

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