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Arts & Culture

05.07.2021

Aziz mohammed “La littérature comble un vide qu’aucune autre expérience de la vie ne pourrait remplir”.

Le premier roman du jeune auteur saoudien Aziz Mohammed vient d’être traduit pour la première fois en français aux éditions Sinbad-Actes Sud. Intitulé “Le cas critique du dénommé K”, cette fiction évoque le quotidien kafkaïen d’un employé d’une société de pétrole saoudienne.

Et si la littérature saoudienne avait de beaux jours devant elle? C’est en tout cas ce que peut nous laisser penser le succès du premier roman du jeune journaliste et critique de cinéma saoudien Aziz Mohammed: Le cas critique du dénommé K. Publié en arabe en 2017, il a depuis été nominé au prix de la fiction arabe puis traduit en anglais et sort pour la première fois en français aux éditions Sindbad Actes Sud. Cette œuvre moderne et rafraîchissante décrit avec humour le quotidien morose d’un employé d’une entreprise de pétrochimie qui tue le temps (de travail) en se rêvant écrivain. Située au milieu de l’Arabie saoudite contemporaine, cette fiction dépeint un monde kafkaïen qui nettoie les âmes, et où les livres et la littérature s’imposent comme des remparts face à la perte de sens de l’existence.

Quel genre de livres t’ont particulièrement donné envie de devenir écrivain ?

Au départ, je m’intéressais davantage à la poésie. J’ai toujours été fasciné par les poètes arabes classiques de la période préislamique mais la lecture de Mahmoud Darwish, le grand poète palestinien contemporain a été un véritable tournant pour moi. Je pense que c’est grâce à lui que j’ai entendu parler de Kafka pour la première fois, même s’ il m’a fallu un certain temps pour arriver à lire son oeuvre. Lorsque j’ai lu “Le Jugement”, j’avais déjà écrit quelques nouvelles moi-même, mais il m’a aidé à réaliser quel type d’influence je voulais que mon écriture ait sur le lecteur.

 

 

Qu’est-ce qui t’as inspiré ce roman sur l’exil intérieur, le fait d’être étranger à soi même, mais surtout sur la maladie?

Tout et rien. J’essayais de surmonter un blocage face à l’écriture, alors j’ai écrit sur un sujet qui me tenait à coeur : le travail. C’était au départ censé être une série de nouvelles sur les différents employés d’une même grande entreprise, mais quand j’ai commencé à développer un employé qui finit par avoir un cancer, j’ai réalisé que ce personnage se suffisait à lui-même.

Quelle a été la partie la plus difficile de ton processus de création ?

Le fait d’écrire sur le cancer de manière comique en gardant le ton sarcastique du narrateur sans faire la lumière sur les détails douloureux qui accompagnent la maladie. Mais aussi me mettre à la place de quelqu’un qui vit cette expérience sans que cela paraisse faux.

Dans ton livre, tu es très critique à l’égard du monde de l’entreprise. Tu décris très précisément les humiliations quotidiennes auxquelles les gens peuvent être confrontés. Est-ce une critique de quelque chose que tu as toi-même vécu ? Quelle est la part d’autobiographie ?

Il s’agit malheureusement d’une expérience commune à de nombreuses personnes en ce moment, une expérience dont chacun peut saisir la dimension simplement en observant autour de soi. De mon côté, je me suis abstenu d’utiliser des parties de ma propre expérience professionnelle parce que j’avais peur qu’elles paraissent exagérées ou pas réalistes.

Le narrateur utilise beaucoup l’humour noir pour décrire sa propre situation. Penses-tu que l’humour puisse aider à guérir ou à surmonter toutes les situations, même la mort ou la maladie ?

Il ne fait aucun doute que l’humour peut être miraculeusement guérisseur à certains moments de l’existence, mais c’est précisément pour cette raison que cela peut être dévastateur quand son effet disparaît. Malgré tout, je pense qu’il faut toujours essayer de conserver son second degré, que ça marche ou non. Dans ce livre, je me suis davantage intéressé aux situations où l’humour est dépassé, et à la façon dont le personnage continue à le tenter malgré cela. Sisyphe doit imaginer que sa tragédie est drôle.

Que ressentez-vous à l’idée de voir votre roman traduit à l’étranger et surtout en français ?

Le moins que l’on puisse dire, c’est que cela m’amuse beaucoup. J’ai eu la chance que le livre soit bien accueilli dans tout le monde arabe, mais je n’ai pas été surpris, étant donné que de nombreux Arabes partagent la même expérience que moi. Il est intéressant pour moi de voir si cette expérience peut se propager à d’autres cultures ou si quelque chose sera perdu dans la traduction.

Qu’est-ce que la littérature et les mots ont apporté dans votre vie ?

J’ai toujours apprécié la capacité de la littérature à exprimer des émotions très profondes, peut-être précisément parce que je suis rarement ému. Elle comble un vide qu’aucune autre expérience de la vie ne pourrait remplir.

Qu’auriez-vous pu devenir si vous n’étiez pas écrivain ?

Idéalement cinéaste. Je pense que le cinéma est la forme parfaite pour exprimer toute la gamme des émotions intérieures et définir l’expérience humaine. Mon plus grand défaut, cependant, est que je ne suis pas doué pour travailler avec les autres. Je sais que je détesterais les responsabilités managériales de la réalisation d’un film, mais je m’efforce toujours de devenir un essayiste cinématographique, dans le style de Chris Marker par exemple, ce qui semble être l’équilibre parfait entre l’écriture et la réalisation de films en solo.

Quels sont vos prochains projets/rêves ?

Je travaille actuellement sur un deuxième roman, qui est encore à un stade très précoce. La phase de recherche est la partie que j’apprécie le plus, donc je n’ai pas l’intention de précipiter les choses.

 

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