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Arts & Culture

06.12.2023

Comment les échanges avec l’Occident ont façonné la musique classique arabe

La musique arabe classique témoigne de la richesse qui naît de la rencontre entre deux cultures différentes.

Dans l’historiographie arabe et européenne, la campagne napoléonienne en Égypte est considérée comme un tournant culturel. En Europe, elle a déclenché une fascination pour l’idée de l’Orient et l’émergence de l’orientalisme en tant que courant artistique et littéraire.  Dans le monde arabe, en revanche, la situation était différente : la campagne a conduit le monde arabe à découvrir un décalage technologique et culturel très profond entre la région et le reste du monde. Pour de nombreux Arabes, c’était l’occasion de rattraper cette situation, de se mettre au diapason de la modernité telle qu’ils la concevaient.

À cette époque, de nombreuses tentatives de modernisation institutionnelle ont été faites ; la création d’écoles, d’administrations et de forces armées modernes, par exemple en Tunisie et en Égypte, en est un exemple notable. Mais ce désir de modernisation administrative et institutionnelle s’accompagne également d’un désir de réforme et de changement culturel. Outre les institutions administratives et militaires, des institutions musicales ont été inaugurées. Le régent Mohammed Ali Pacha, par exemple, a créé cinq écoles musicales différentes en Égypte au cours de son règne, la plupart d’entre elles étant axées sur la musique franco-allemande. Le petit-fils de Mohammed Ali Pacha, le Khédive Ismail Pacha, a créé l’Opéra khédivial au Caire, introduisant la musique italienne en plus de la musique française et allemande. Cela a conduit à l’augmentation des comédies musicales en Égypte, au Caire, et a formé une nouvelle génération de musiciens, y compris les mentors de célèbres musiciens arabes en devenir. La création de l’opéra khédivial au Caire a également permis l’introduction d’instruments occidentaux en Égypte, principalement le violon, que les Égyptiens appelaient alors “Kamanja Roumiyya”, c’est-à-dire “violon Rumi”, le terme Rumi étant familièrement utilisé comme synonyme d’occidental ou d’européen.

 

L’opéra khédivial, Le Caire

Ces tentatives ont toutefois été dérisoires, tant sur le plan de l’ampleur que de l’effet. Toutefois, la situation allait évoluer avec l’arrivée des empires coloniaux français et anglais dans de nombreux pays arabes. L’installation des administrations coloniales a entraîné un afflux d’artistes occidentaux dans les capitales arabes en général, y compris des musiciens. À cette époque, la musique occidentale et la musique orientale se côtoient. Mais le contact sera formalisé avec la création de conférences musicales qui permettront aux musiciens européens et locaux d’échanger.

Sayyid Darwish : un révolutionnaire musical

C’est dans ce contexte marqué par les semences d’un échange culturel qu’émerge Sayyid Darwish. De nombreux historiens estiment que Darwish a été l’un des premiers grands musiciens à embrasser les traditions musicales occidentales et à les intégrer dans ses œuvres. Sayyid Darwish a été l’élève de Salama Hegazi, un chanteur égyptien du XIXe siècle considéré comme un pionnier du théâtre musical en Égypte, lui-même influencé par l’opéra khédivial créé au XIXe siècle. Les premières productions artistiques de Sayyid Darwish étaient elles-mêmes des spectacles musicaux, principalement “Al-Sitt Huda” et “Al-Barouka”. La notoriété de Sayyid Darwish est due au fait qu’il a réussi à populariser le théâtre musical auprès du grand public, démocratisant ainsi cette forme d’art qui était autrefois perçue comme un art bourgeois ou réservé aux colons européens. Sayyid Darwish a également utilisé les technologies musicales émergentes de son époque, notamment les appareils d’enregistrement comme le phonographe. Ses œuvres s’inspirent directement de la musique occidentale, en particulier des mélodies polyphoniques qui ne faisaient pas encore partie de la musique arabe ou orientale.

 

 
 
 
 
 
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Sayyid Darwish est également l’un des premiers musiciens du monde arabe à avoir utilisé le piano. Au départ, les musiciens plus conservateurs qui l’entouraient étaient très réticents à l’idée d’introduire cet instrument. Interrogé sur son adoption des instruments occidentaux, Sayyid Darwish a répondu : ” C’est tout comme le fait que j’ai abandonné les vêtements traditionnels égyptiens, la gibba et le caftan, au profit de costumes occidentaux “. Pour lui, s’adapter à la musique occidentale n’était pas seulement un choix d’ordre esthétique, mais aussi un reflet des changements du 20e siècle.

Très vite, d’autres artistes lui ont emboîté le pas, notamment Mohamed Abdelwahab, l’un des musiciens arabes les plus populaires du XXe siècle, qui a utilisé le piano pour la première fois dans sa pièce “Al-Siba wa al-Jamal”. Mohamed Abdelwahab faisait partie des musiciens conservateurs qui n’étaient pas désireux d’embrasser l’influence occidentale au début, mais après s’être adapté et avoir épousé cette influence étrangère, il a expliqué que “la musique orientale seule n’est plus apte à nourrir l’âme de l’auditeur arabe à notre époque”. Mohamed el-Qasabji, autre figure de proue de la musique arabe et égyptienne, était également opposé à l’utilisation de mélodies orchestrales par Abdelwahab, avant de faire de même quelques années plus tard et d’intégrer la musique polyphonique dans ses propres œuvres, comme en témoigne sa chanson “Ya Majd” interprétée par Umm Kulthum, surnommée “l’Astre de l’Orient” et sans doute la musicienne arabe la plus emblématique.

 

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