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Arts & Culture

03.12.2019

Randa Marzi, la photographie comme antidote aux clichés

Basée entre Marseille et Beyrouth, Randa Marzi se sert de la photographie comme d’un outil. Pour bâtir à travers la pédagogie, mais aussi pour démolir les a priori. Ceux que l’histoire et la société nous ont construits. Une manière d’amener à voir sans jamais forcer le regard, mais qui n’en dit pas moins.

Présentée l’été dernier durant les rencontres photographiques à Arles, Randa Marzi y exposait un travail sur les mythologies de l’Arabie pré-islamique afin de révéler la richesse culturelle de la région. Née pendant la guerre civile au Liban, Randa Marzi s’initie à la photographie très tôt pour capturer tout ce qui ne se “voit” pas. En saisissant ce qui existe par abstraction, elle rétablit ainsi leur essence “Pour moi photographie doit toucher les gens et permettre de réfléchir sur le monde. Quand je pense aux images, il est important pour moi de présenter les deux dimensions d’une réalité, celle du photographe et celle du récepteur “, déclare t-elle.

“Dans le dénuement de ce qui reste, je réveille les secrets enfouis”

Son travail se fait rapidement remarquer, aux rencontres photographiques d’Arles en 2006 avec “Abandoned rooms”, un projet touchant où elle représentait les intérieurs vides et abandonnés de l’après-guerre, autrefois occupés par des milices locales ou étrangères “Ces vestiges étaient devenus des blessures béantes conjurant l’amnésie, la volonté d’oubli collective qui s’empara du pays quinze ans durant… Les édifices de l’absence devenaient dépositaires d’une mémoire. J’entrais dans chaque ruine comme dans une histoire d’amour, crainte et désir mêlés…. Dans le dénuement de ce qui reste, je réveille les secrets enfouis…poussières qu’on ne savait plus réelles ou imaginées.” Ce travail lui vaut d’ailleurs le prix “No Limit” qui récompense un artiste dont le travail photographie au delà des frontières établies.

Une réflexion sur la société et le genre

Dans la Grotte au pigeon, elle met en scène des baigneurs qui plongent du sommet d’une falaise iconique de Beyrouth: les Rochers de Rouché. Une scène de divertissement populaire d’apparence anodine qui décrit avec humour le machisme de la société libanaise, entre prouesse virile et exhibitionnisme.

Avec Sex On Gender, elle déconstruit les genres de manière ludique à travers une une série de portraits mêlant les corps de deux individus de sexes différents. En “Grâce aux technologies photographiques, je fais, défais et refais mes sujets. L’image permet le dépassement symbolique de l’unicité du corps et donne ainsi accès à un infini de fantasme et de possibilités.Pour moi, il était intéressant d’observer comment le genre enferme et sépare les gens. Je voulais montrer comment les genres se sont construits.”

Elle dénonce aussi l’absurdité du capitalisme et des projets immobiliers qui ravagent Beyrouth depuis la fin de la guerre civile libanaise avec Beirutopia, une série de mises en abîme d’affiches publicitaires représentant des immeubles virtuels en construction, encadrés depuis l’espace réel dans lequel ils se trouvent. La confrontation des situations virtuelles et réelles, ainsi que le jeu d’échelles et de plans confèrent aux photographies un sentiment d’étrangeté et d’absurdité constituant une lecture critique des transformations actuelles de la ville, traduisant le déclin d’un rêve libanais qui semble avoir perdu son héritage dans l’urbanisation croissante.

“J’ai toujours voulu travailler sur les religions”

Révéler, souligner, dénoncer mais aussi déconstruire sont au coeur de la démarche de cette photographe dont l’oeil aiguisé transporte au-delà du simple regard. C’est le cas de sa dernière série présentée aux dernières rencontres photographiques d’Arles El Zohra was not born in a day (El Zohra n’était pas née en un jour). Pour ce travail, elle s’est plongée dans les vestiges archéologiques du Proche-Orient: les écrits des anciens chroniqueurs musulmans, le Coran, la littérature arabe classique et la poésie préislamique “J’ai toujours voulu travailler sur les religions car au Liban c’est très important. C’est une chose avec laquelle je suis née, étant moi-même issue d’un mariage mixte. Donc je suis bien connectée au christianisme mais aussi à l’islam. J’ai voulu comprendre comment la religion s’est construite en tant que système dominant à partir d’une culture pré-existante.”

Elle en ressort des contes oubliés de l’ancienne Arabie qu’elle présente sous la forme de sculptures et de dioramas multimédias. La mise en relief de ses mythes offre une perspective plus profonde et nuancée du peuple arabe et de sa culture et livre aussi un autre récit qui vient bousculer la grande histoire tel quelle a été produite par les grands systèmes de domination religieux ou laïques. Une mission qu’elle illustre également au sein du projet Love and Revenge, en duo avec avec le DJ libanais Rayess Bek, qui mélange musique électronique et montage vidéo live sur des chansons et des films datant de l’âge d’or de la production audiovisuelle arabe des années 40 à 90. En exposant toutes les contradictions du monde arabe, elle essaie Randa Marzi essaie ainsi de décoloniser les images et les mentalités.

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